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une confiance qui le toucha. « Je voudrais avoir votre avis sur la dissolution de la Chambre, dit-il, que feriez-vous à ma place ? — Mais, répondit-il, je ne puis vous répondre que si je connais vos intentions. Voulez-vous nous combattre ou nous appuyer ? Avec des instructions à vos préfets, notamment à quelques-uns que je vous désignerai, vous pouvez empêcher qu’on ne combatte mes amis ; vous pouvez même les faire appuyer sous main. Je puis en faire élire soixante-dix à la Chambre. Ces hommes-là ne me resteront pas tous fidèles à l’extrême droite ; en certaines circonstances, vous pourrez vous entendre avec eux et je ne vous combattrai pas. Si. au contraire, vous nous combattez, vous m’obligez à chercher un appui à gauche, et, entendez-le bien, je puis faire nommer cinquante-neuf membres de l’opposition. »

Le ministre semblait disposé à entrer dans cette voie ; il parla aussi d’introduire le suffrage à deux degrés, et Berryer promettait son concours sans réserve à cette réforme. Il y eut une seconde conférence, à laquelle prit part le comte de Montalivet, ministre de l’intérieur ; mais Louis-Philippe ne voulut pas entendre parler d’une entente avec les carlistes. Décidément le mot flétri, infligé à un tel homme et à ses amis après le pèlerinage de Belgrave-Square auprès du Comte de Chambord en 1843, dépassait la mesure[1].

Les amitiés du prétoire, la franc-maçonnerie du barreau contribuèrent encore à la gloire de Berryer : il restait l’ami intime des grands confrères qui avaient rebondi du Palais au pouvoir, de Dupin entre autres. Président de la Chambre, celui-ci chauffait ses succès de tribune comme les siens propres, le soufflait au besoin s’il perdait le fil du discours ou s’embrouillait dans ses dates. Un jour qu’il faisait une charge contre les doctrinaires, il le rappela tout haut à la modération, tandis qu’il l’encourageait tout bas en murmurant : « Continue, tu es en verve, tape, tape ! Et n’oublie pas qu’une chemise toute chaude t’attend à la présidence quand tu auras fini ! » Ainsi tous les avocats de France, les républicains, les royalistes, des hommes du gouvernement applaudissaient à ses triomphes oratoires, quelques-uns avec d’autant plus de plaisir qu’il leur semblait un Lablache de la tribune,

  1. Le comte Alexis de Saint-Priest se trouvait chez le roi au moment où celui-ci témoignait le plus d’irritation contre ces nobles pèlerins, au rang desquels figurait le général de Saint-Priest. « Mon cher comte, dit Louis-Philippe, il y a des oncles bien compromettans. — Sire, qu’y faire, répliqua le spirituel diplomate ; dans ce monde, les uns ont des oncles, les autres des neveux. »