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MÉDECIN DE CAMPAGNE…

« Cependant, reprenait-il, Palfrène n’était pas un malade ordinaire. Il est docteur comme moi. Il faisait semblant d’être abruti par la maladie, mais il avait parfaitement sa tête.

« Eh bien, non, ça encore n’est pas vrai !… Il avait peur, très peur ; il était bouleversé, se défiait de lui-même, n’osait rien dire, moitié par amour-propre à cause de sa femme, moitié par défiance de moi… Je l’ai bien vu, il semblait comme affolé… Et alors, moi j’ai lâchement profité de ce que cette espèce de bécasse en tenait pour la saignée !… Ah ! non, Valadier, mon garçon, ce que tu as fait là est… dégoûtant, tout simplement. »

Il resta longtemps sur cette idée, angoissé, malheureux, s’accusant d’avoir tué son confrère, car enfin c’était sûr, Palfrène allait mourir.

À la longue, quand il fut bien sûr que tous ses remords n’y changeraient rien, il recommença à discuter avec lui-même, mais plus froidement. Maintenant il se trouvait des excuses. Il finit même par se remonter quelque peu le moral avec ce raisonnement : « Supposons que le malade s’appelle Valadier, que le médecin qui le traite soit Palfrène, qu’est-ce que Valadier voudrait qu’on emploie ? son traitement ou celui de son confrère ?… Eh bien alors ! »


Puis deux jours s’écoulèrent. Et, par Radegonde, il apprit que c’était bien le docteur Gauwin qui soignait Palfrène ; et Gauwin aurait dit à quelqu’un, en confidence, mais on le savait tout de même, que le confrère Valadier avait soigné « ce pauvre Palfrène » d’une façon pitoyable.

Le jeune homme grogna, s’exaspéra et finalement défendit à Radegonde de jamais lui reparler de tous ces gens-là. Qu’est-ce que ça lui « fichait » au surplus, ce que devenait Palfrène !…

Mais à Mauny, dans une auberge, pendant son déjeuner, il eut un coup à l’estomac en entendant des buveurs dire qu’ « il était au plus bas. » Qui il ? Évidemment le confrère.


Valadier est couché et réfléchit :

« Eh bien, oui, il va mourir. Et après ? Pourquoi me tourmenter ? Est-ce qu’il se désolerait de ma mort, lui ? Est-ce que ce n’est pas entre nous une lutte acharnée, sans pitié ?

« Quant aux petits confrères qui me détestent, qui m’accusent en ce moment, est-ce qu’ils n’auraient pas, quand même,