n’a droit, sur ces moyens, qu’à ce qui lui est indispensable pour produire la quantité adéquate à ses besoins personnels. S’il produit davantage, soit parce qu’il a accaparé une quantité trop considérable de terre, soit parce qu’il a su en tirer un meilleur parti que ses voisins, ce qu’il a pris en trop, ce qui ne sert pas directement à sa propre consommation est un capital, chose condamnable, chose maudite, mais heureusement chose saisissable et taillable à merci. Assurément, ce sens attribué au mot capital n’est pas tout à fait celui que lui donnent les économistes ; mais il faut s’entendre, et pour cela adopter provisoirement la langue de nos adversaires.
Telle est la notion fondamentale du socialisme. Les socialistes français n’y renoncent point ; mais comme ils sentent très bien la résistance qu’ils rencontrent dans le bon sens de nos paysans, qui sont le plus souvent de petits propriétaires, ils se sont demandé s’ils ne pourraient pas, au moyen d’une équivoque, accommoder les principes de l’école, de leur école, avec un état de fait dont ils sont bien forcés de tenir compte, ne fût-ce qu’à titre transitoire. Et alors, ils ont imaginé une combinaison bâtarde, paradoxale, sophistique, dont la logique et la probité des socialistes allemands sont indignées comme d’une escobarderie, mais qui leur paraît convenir, pour eux, aux nécessités de la situation. La grande propriété, ils la condamnent sans merci ; ils y voient une création intolérable du régime capitaliste ; mais ils affectent de faire grâce à la petite. Celle-ci survivra ; elle a droit de survivre, à les entendre, et pourquoi ? Parce que, si on la réduit à des limites suffisamment étroites, elle peut être considérée comme l’appropriation exacte entre les mains d’un individu de l’instrument de production qui est nécessaire à son entretien. Ne voit-on pas tout de suite, disent-ils, que cela ne viole aucun principe ? Ce n’est pas empiéter sur la masse commune que d’en distraire exactement la quantité dont on a besoin pour vivre, pourvu qu’on ne la dépasse pas. Et voilà comment les socialistes français, M. Jaurès, M. Millerand, M. Chauvin, — nous ne parlons que de ceux qui sont plus ou moins intervenus dans la discussion récente, ne fût-ce que par leurs interruptions, — prétendent mettre d’accord leur tactique avec leur doctrine. Ils se proclament très haut les vrais, les seuls défenseurs de la petite propriété, de la toute petite, de la plus petite propriété possible. Ils lui accordent tout, excepté pourtant le droit de grandir. Le jour où elle grandit, elle devient coupable. En revanche, elle peut multiplier à l’infini, et M. Jaurès souhaite, en effet, qu’elle le fasse au détriment de la propriété plus étendue, qui doit disparaître. Il livre la propriété actuelle,