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prises du pouvoir politique. Mais le principal champion des croyances religieuses est le prince, et sous Louis XIV elles se trouvent surtout protégées par des moyens de prince. Les protestans troublent l’unité ; la controverse est trop lente à les vaincre ; la révocation de l’Edit de Nantes, ouvertement blâmée par le pape, mais voulue par le roi, rétablit l’ordre. Entre jansénistes et jésuites, c’est encore le roi qui prononce. Sous la subtilité des disputes théologiques, il discerne dans le jansénisme une faction qui, par l’excès du sens individuel, conduirait en religion au protestantisme et en politique au régime représentatif. Ce n’est pas assez qu’il obtienne contre elle les condamnations de Rome, il chasse et disperse les hôtes de Port-Royal, et détruit le monastère jusqu’aux fondemens. Tout se soumet à ces rites cruels d’une religion royale qui n’a pas besoin de convaincre, mais seulement de n’être pas contredite et cette force maintient la paix dans le silence tant que le génie du pouvoir absolu règne avec Louis XIV ! Mais, lui mort, apparaît l’anarchie creusée sous tant de puissance. Les jansénistes appellent des papes au futur concile, et se ménagent, jusqu’à ce qu’il se réunisse, le droit de ne pas obéir ; les Parlemens trouvent, à soutenir les jansénistes, le double avantage de reprendre autorité sur les affaires d’État, et de relever à la fois les deux gallicanismes ; la royauté, qui s’est réservé en toutes matières le dernier mot, hésite sur ce qu’elle veut. Tantôt favorable à Rome et aux jésuites jusqu’à rompre avec les corps judiciaires, tantôt dédaigneuse de l’inertie où dort le clergé formé par elle, et consciente de suffire au soutien de la religion, elle tend de plus en plus à remplacer l’Église, et juge superflu d’en entretenir la vigueur. Avant le milieu du XVIIIe siècle, elle interdit aux ordres religieux de fonder de nouvelles maisons, et au clergé d’acquérir de nouveaux biens. Le Parlement suit la voie ainsi ouverte quand il condamne ses ennemis les jésuites, confisque leurs biens et les exile. Les défenseurs de l’autorité pontificale et monarchique sont indépendans de l’État et semblent riches ; c’est assez désormais pour que la royauté les juge coupables. Non seulement elle les abandonne, elle les accable : la maison de Bourbon les chasse de toutes les contrées où elle règne, et la coalition de ses couronnes arrache à Clément XIV la suppression de l’ordre. Avec eux disparaît, vingt-sept années avant la Révolution française, la force la plus vivante qui soutînt encore, en faveur de l’Église, la controverse,