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LES LUTTES ENTRE L’ÉGLISE ET L’ÉTAT.

cilier cette contradiction, les réformateurs ajoutèrent une théorie à une théorie, à celle de la liberté absolue celle du contrat social. Puisque l’homme est doué de raison, il sait abdiquer de son indépendance naturelle ce qu’il faut pour respecter l’indépendance des êtres égaux à lui, et pour assurer d’accord avec eux l’existence inviolable des droits essentiels à tous. Sur ce consentement réciproque se fondent les obligations de chacun envers les autres, de l’individu envers la société : et seuls sont légitimes les sacrifices qui ont été consentis par la raison de l’homme. Ainsi jusque dans la reconnaissance des intérêts généraux le droit individuel domine, et, par la façon même dont il se limite, il triomphe.

C’est ce droit que l’Église a jugé à la fois insuffisant et excessif. Elevant la lutte aux sommets de cette raison où les novateurs se croyaient inattaquables, elle a dénoncé l’erreur dans le principe même de leur doctrine, dans leur idée de la liberté. Elle a nié que pour l’homme la liberté fût le bien suprême. Partout autour de lui s’étendent des régions de ténèbres, son grand tourment est de ne pas connaître, son instinct est de chercher le vrai. Son guide ordinaire est sa raison, et il n’y a pas de motifs pour que celle des uns impose à celle des autres ses hypothèses. De là le rôle de la liberté, fille du doute. Chacun explore à sa manière le mystère des idées, des phénomènes et des calculs : ces voyages de découverte poursuivis de tous côtés à la fois pénètrent et réduisent plus vite le domaine de l’inconnu, et chacun, par son effort spontané, travaille au profit de tous. Mais quand, grâce à la somme de ces efforts, au doute succède la certitude, la vérité qui n’a plus à être servie par l’indépendance de l’activité individuelle veut être honorée par l’adhésion de tous à l’évidence. La liberté abdique devant l’axiome. Dire que le bien suprême est la liberté, c’est donc prendre la route pour le terme, préférer le labour à la moisson ; c’est penser que la vocation de l’humanité est la lutte dans les ténèbres et non la paix dans la lumière. Si la civilisation se mesure à la liberté garantie à l’individu contre l’arbitraire, elle se mesure également au nombre des vérités conquises sur l’ignorance pour l’avantage commun. Et le bien suprême est la certitude.

Si ne voir dans l’homme que la liberté est amoindrir sa nature, ne voir dans la société que l’homme est exagérer son importance. Des théologiens qui lui attribuent une origine divine et une