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constitue la véritable liberté. Aussi purement musicale que la sonate et le quatuor, la symphonie a sur l’une et l’autre le double avantage des timbres plus variés et de plus vastes proportions. La sonate est belle, mais d’une beauté pour ainsi dire encore solitaire. Admirable est le quatuor, la forme par excellence de la musique de chambre, ainsi qu’on nomme cet art profond et caché. Le groupe musical du quatuor peut se comparer au groupe social de la famille ; mais la symphonie est plus largement représentative. Plus fraternelle que le concerto, où domine une voix, un principe d’individualité et d’égoïsme, la symphonie est l’universel et l’unanime concert. Il semble que les choses mêmes y prennent part et que le bois, le métal n’y devienne sonore que pour unir la musique de la nature à la musique de l’humanité.

Or, dans cet ordre ou cette catégorie, celle des chefs-d’œuvre, Beethoven a créé les chefs-d’œuvre par excellence. Son génie est en quelque sorte à deux degrés. Les plus beaux sons parmi ceux qui ne furent point proférés par des lèvres humaines, c’est Beethoven qui les a fait entendre. Oui, même aujourd’hui, plus de soixante ans après que Beethoven est mort, c’est encore, toujours Beethoven. Tandis que la musique de théâtre s’est trois ou quatre fois renouvelée, l’idéal de la symphonie, qu’il a fixé, demeure. Nul n’y atteint ; les plus grands en approchent, mais de le déplacer les plus téméraires ne se flattent pas encore. On voit très bien ce que depuis Beethoven la symphonie a perdu ; je défie qu’on me montre ce qu’elle a gagné. Comment s’étonner alors si le mot seul de symphonie, quand on parle de Beethoven, prend un sens et comme un son nouveau ?

De la symphonie, Beethoven a tout renouvelé. Je n’y vois pas un élément qu’il n’ait accru, élevé à une puissance et comme promu à une vie supérieure.

Beethoven d’abord a fait l’orchestre plus nombreux. A l’orchestre de la symphonie Jupiter, de Mozart, il ajoute dès sa première symphonie une flûte et deux clarinettes ; dans la symphonie en ut mineur apparaissent pour la première fois les trombones, la petite flûte et le contre-basson. Après avoir augmenté le nombre des instrumens, Beethoven les classe et les distribue. Il partage son orchestre sans l’affaiblir ni le disperser. Il y multiplie les ouvertures et les jours, mais il ne laisse pas un vide, pas un trou s’y creuser. Entre les groupes ou les familles sonores, soit qu’il les rassemble, soit qu’il les oppose, il n’établit