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eux-mêmes les plus admirables, parce qu’en ses symphonies la beauté particulière, et pour ainsi dire individuelle, est égale à la beauté, qu’elle engendre, de la somme ou de l’association.

A la mélodie même de Bach, la mélodie de Beethoven est supérieure sinon peut-être par l’abondance, au moins par la liberté, par un caractère aussi plus constamment humain et vivant. Vivant, humain, il sait l’être, le vieux et sublime cantor, mais parfois on dirait qu’il s’abstrait de l’humanité et de la vie. Sa mélodie alors se dépouille et s’idéalise jusqu’à ne plus former qu’une sorte de figure graphique. A l’infini elle déploie dans le temps ses rythmes invariables, et ses lignes arrondies ou brisées dans l’espace. Elle est un mécanisme surtout logique, une création toute spirituelle, une œuvre, un chef-d’œuvre même, mais de la raison pure. Elle éclate aux esprits. La mélodie de Beethoven éclate tout d’abord aux âmes. Elle les remplit d’allégresse ou de deuil, mais c’est toujours les âmes qu’elle remplit. Avant la beauté rationnelle, la beauté passionnelle y surabonde. Le maître que fut Bach n’est pas seulement le dominus, mais le magister. De la musique entière il apparaît comme je ne sais quel instituteur prodigieux. De là parfois en sa mélodie un peu de raideur ou de sécheresse trop classique, quelque chose qui sent l’exercice et l’école. La mélodie de Beethoven, au contraire, ne respire jamais que la vérité et la vie.

Elle vivait déjà, la mélodie, et d’une vie légère, exquise, dans les innombrables symphonies de Haydn, dans la symphonie en sol mineur de Mozart, celle qui commence par un si mélancolique sourire. Mais à ce début même, peut-être sans égal avant Beethoven, comparez un début comme celui de la symphonie en mi mineur. « C’est le destin, disait Beethoven, qui frappe à la porte. » C’était plus que son destin à lui : c’était le destin de son art. C’était la mélodie par lui démesurément accrue et fortifiée, et sous le choc des quatre notes formidables sont tombées les portes de l’avenir.

Il arrive quelquefois à Beethoven d’emprunter une idée mélodique. Il prend, pour rendre au centuple. A Mozart il dérobe le motif de l’ouverture d’une opérette de jeunesse, Bastien et Bastienne, pour en faire le premier morceau de la symphonie Héroïque. On trouve dans un recueil de chants croates des thèmes presque identiques à certains thèmes de la symphonie Pastorale (premier morceau et finale). Il est vrai qu’en l’espèce on ne sait pas trop si les mélodies originales furent celles de Beethoven ou les