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et l’obsède. L’Ode à la Joie, de Schiller, avait toujours été l’un des poèmes favoris du maître. En 1798, entre l’esquisse d’un rondo et celui d’une sonate, on rencontre pour la première fois « les paroles sacrées ». En 1811, Beethoven les note à deux reprises ; plus tard il y revient encore, et peu à peu se forme et se cristallise en sa pensée, la plus vaste et pour ainsi dire la plus générale de ses mélodies. Un finale tout entier — et quel finale ! — en est issu. Seule elle le contient, le supporte et le développe. Son identité mélodique persiste sous toutes les variations instrumentales de l’immense polyphonie. « Beethoven, a très bien dit Wagner, a affranchi cette mélodie de toutes les influences de la mode, de tous les caprices du goût. Il a voulu qu’elle représentât le type de la pure, de l’éternelle humanité. » Si Beethoven en a tiré tout un finale, Wagner en a déduit tout un système de musique dramatique. On cite toujours le leitmotiv de l’Ode à la joie — car c’en est un et le premier de tous — comme la pierre angulaire de l’édifice wagnérien. Quelle autre mélodie eut jamais de telles destinées ? On a vanté la fortune de certaines idées musicales : le début de la symphonie Héroïque, emprunté par Beethoven à Mozart, et que Schubert et Brahms devaient imiter à leur tour. Mais de la mélodie finale de la neuvième symphonie, c’est tout un ordre nouveau qui est né. Goethe l’eût rangée parmi les « Mères ». Wagner aurait pu l’appeler Urmelodie, la mélodie primordiale, car elle est véritablement à l’origine d’un monde.

A la mesure et sous l’effort du génie de Beethoven, la symphonie entière s’est agrandie. En cet admirable et souple organisme, tout a prêté, rien n’a rompu. Des quatre parties qui la composent, la moindre n’est pas celle qui s’est le moins transformée. Du menuet de Haydn et de Mozart, le scherzo de Beethoven est sorti. Même rythme, même division en deux parties ; la lettre subsiste, mais l’esprit s’est renouvelé. Une danse élégante s’est changée en un poème intérieur ; quelque chose de vif et d’aimable en quelque chose de profond, parfois sublime. Avant Beethoven, avant sa troisième symphonie (l’Héroïque), le scherzo — dans la pleine acception du mot — n’existe pas. Le scherzo de l’Héroïque est le premier de « ces grands mouvemens » créés par Beethoven et beethoveniens entre tous, où se mêlent, avec une puissance inconnue jusqu’alors, la tragédie et la comédie de la vie. Un seul est une danse encore : celui de la symphonie Pastorale. Mais quelle danse, et de quels danseurs ! Rappelez-vous le hautbois