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autres, de celui qui nous occupe : la quatrième symphonie[1]. L’auteur de ces précieuses pages n’était qu’une petite fille quand elle vit pour la première fois la comtesse Thérèse, alors retirée du monde, et ne vivant plus que pour la charité. Elle avait la bonté d’une mère avec la grâce d’une fée ; ses yeux étaient profonds, sa voix grave et douce. L’enfant passait de longues heures assise à ses pieds sur un tabouret. Une fois, sous le siège trop rapproché, la robe de la comtesse fut prise et se déchira ; comme l’enfant pleurait : « Ma chérie, lui dit la comtesse en l’embrassant, il ne vaut pas la peine de se désoler pour un accroc à une robe. Garde tes larmes pour les déchiremens de la vie ; peut-être ne te seront-ils pas épargnés. » Et le grand déchirement de sa vie à elle, plus tard, en diverses rencontres, elle le lui raconta. Elle avait chargé sa jeune confidente d’aller tous les ans le 27 mars au cimetière de Waehring, et de déposer un bouquet d’immortelles sur le plus illustre des tombeaux. La première fois que l’enfant s’y rendit, un ami de Beethoven qui vit passer la messagère demanda qui l’envoyait, et, l’ayant appris, murmura : « J’aurais dû le deviner ; il n’y a qu’elle seule de qui des immortelles peuvent venir. » Un autre jour la comtesse ouvrit un coffret devant sa petite amie en lui disant : « Je vais te montrer les trésors de celle qui fut la très haute dame Thérèse de Brunswick. » La cassette renfermait des immortelles encore, avec ces mots écrits sur un feuillet décoloré : « L’immortel à son immortelle — Luigi. » Enfin, en 1861, ce fut sur les sombres fleurs, enfermées dans un sachet de soie blanche, que l’immortelle bien-aimée reposa sa tête pour toujours.

Une aventure d’enfance fut le prologue de cette belle et triste histoire d’amour. En 1794 la comtesse Thérèse avait seize ans. Elle prenait des leçons de piano avec Beethoven, qui était l’ami et le protégé de son frère aîné, le comte François. Un jour, — un jour d’hiver glacial et blanc de neige, — le maître arriva, plus que jamais farouche. Il avait l’œil dur et la bouche méchante. « Avez-vous travaillé votre sonate ? — Oui, répondit l’enfant déjà tout interdite. — Nous allons voir. » Et sous le regard de plus en plus sévère elle se troubla de plus en plus. « En mesure ! en mesure ! » grondait Beethoven, et soudain, frappant avec colère non seulement sur le clavier, mais sur de petits doigts tremblans,

  1. Beethoven’s Unsterbliche Geliebte, von Mariam Tenger ; Bonn, 2e Auflage, 1890. C’est à cette brochure que nous avons emprunté — quelquefois textuellement — les détails qui suivent.