encore prise. Talleyrand écrivit, le 3 août, à l’envoyé de la république à Constantinople : « Le commerce de la Méditerranée doit changer de face et passer entièrement dans les mains des Français. C’est le désir secret du Directoire, ce sera le résultat inévitable de notre position sur cette mer... Pour compléter cette admirable position — Malte — l’Egypte, cette contrée de tout temps si désirée par la France, est nécessaire à la République... Le Directoire n’a sur l’Egypte aucune idée de conquête... les droits de la Porte y seront par nous respectés... Je ne dois pas cependant vous déguiser que l’intention du Directoire n’est pas d’évacuer l’Egypte. Il est résolu à s’y maintenir par tous les moyens possibles. » Et là-dessus les imaginations s’emportent. « L’expédition de Bonaparte, disait Talleyrand au Directoire, le 10 juillet, assure la destruction de la puissance britannique dans l’Inde. » Poursuivons le commerce anglais par nos corsaires, nos lois, nos traités ; faisons-lui le plus de mal possible. C’est fonder la liberté des mers. « La Méditerranée doit être exclusivement la mer française. Son commerce entier nous appartient... » Menacée à l’intérieur, « déchirée par l’insurrection d’Irlande », bientôt poursuivie jusque dans l’Inde, « sourdement épuisée par les efforts qu’elle est forcée de faire », l’Angleterre s’écroulera. Les Anglais seront forcés de rappeler leur flotte de l’Orient. « Dès lors, nous pouvons marcher à Constantinople, où tout doit être préparé pour que nous soyons bien reçus. La destruction de Cherson et de Sébastopol serait à la fois la plus juste vengeance de l’acharnement insensé des Russes et le meilleur moyen de négociation avec les Turcs pour en obtenir tout ce qui pourrait consolider notre établissement en Afrique[1]... »
Talleyrand traduisait ainsi, dans sa prose régulière, les spéculations du Directoire ; ainsi spéculera Napoléon, en 1811, lorsque treize ans de guerre auront, pour un instant, réalisé, sur le continent, les rêves du Directoire ; que les projets de Sieyès et des Directeurs seront devenus le « système continental » ; que toute l’Europe, même la Russie y sera ployée ; qu’il ne restera plus, pour atteindre le but de ce système et la fin de la guerre, qu’à réduire les Anglais, et que les Anglais sembleront à la veille de crier merci[2].