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le mot libre implique l’absence de causes hétérogènes de détermination, comme la corruption ou la menace. Dans le second, il indique l’absence de toute détermination rigoureuse quelle qu’elle soit. Si l’on s’est aussi mal entendu sur les conséquences de la liberté, c’est faute d’avoir toujours assez soigneusement distingué ces deux sens, et vérifié leur portée. On comprend que, dans la première acception du mot, la liberté est compatible avec le déterminisme le plus rigoureux : avec la seconde il n’en est plus de même. D’autre part, en un sens, la liberté est nécessaire à la constitution de la morale, à la sanction et à la responsabilité, en un autre elle ne l’est pas. S’il importe peu, pour que nous soyons responsables de nos actes, que ces actes échappent à toute détermination, il importe beaucoup qu’ils soient l’expression même de notre volonté et de nos vrais désirs. C’est, comme j’ai tâché de le montrer ailleurs, par des considérations de finalité et non de causalité qu’il faut traiter ce problème, qui demanderait d’ailleurs plus de distinctions de sens que je ne puis en faire ici.

Des confusions comme celles que je viens d’indiquer se produisent presque fatalement dans les discussions, alors même quelles sont menées avec soin et par des personnes habituées à raisonner. Lorsqu’on commence à les apercevoir on peut espérer qu’elles vont cesser ou, tout au moins, diminuer d’intensité et de fréquence. Mais sur beaucoup de points il ne faut pas compter les découvrir et les éviter, parce que nos idées ne sont pas encore assez formées, assez mûres pour pouvoir clairement se distinguer et se préciser. Parmi les notions qui nous sont acquises, beaucoup restent vagues et englobent des élémens dont l’incompatibilité ne s’est pas encore révélée à nous et qu’il faudra séparer plus tard. L’état primitif est celui même des plus avisés d’entre nous dans le domaine des connaissances qui s’ébauchent aujourd’hui ; et chacun apporte bien souvent un esprit quelque peu analogue à celui du sauvage ou de l’enfant aux questions auxquelles il commence à s’initier et qu’il croit pouvoir traiter à l’aide du « sens commun » tel qu’il le possède et le comprend. Quand les théories et les mots qui les énoncent arrivent dans des milieux intellectuels où leur sens exact ne saurait les suivre, d’innombrables confusions se produisent qui n’amusent même pas ceux qui les font. Elles s’imposent presque à tous ceux qui ne sont pas assez familiers avec le sujet qu’ils traitent. Des mythes et des légendes naissent encore autour de nous, et d’étranges théories