de Venise, une occasion de louer ses vertus et de nous le faire admirer. Et il poursuit de siècle en siècle son apologie, ou plutôt son éloge, à grand renfort de citations inédites, d’anecdotes piquantes et d’ingénieux paradoxes. Il nous montre comment Venise, après la Renaissance, a seule continué d’agir et de vivre, dans l’amollissement général des cités italiennes. Et si, arrivé au XVIIIe siècle, il se voit contraint d’admettre la rapide décadence de la République, du moins s’attache-t-il à nous vanter la sollicitude paternelle du pouvoir ducal pour la sécurité des personnes, le respect des mœurs, et le bon ordre intérieur. Au dehors non plus, dans ses relations avec les provinces tributaires, Venise ne lui paraît pas avoir jamais cessé d’être pleine à la fois de sagesse et de mansuétude : jamais, à l’en croire, le Frioul, la Dalmatie, l’Albanie et les îles grecques n’ont été aussi heureuses que sous l’autorité du Lion de Saint-Marc.
Qu’on ne suppose pas, après cela, que cette admiration pour les doges, le Conseil des Dix, et les Inquisiteurs d’État soit, chez M. Molmenti, le fait d’un parti pris politique. Ce qu’il admire et ce qu’il aime dans l’ancien gouvernement de Venise, ce n’est encore que Venise, « la fleur du monde », ainsi qu’il l’appelle, Venise « à qui nulle autre ville ne peut se comparer ». C’est elle encore qu’il glorifie dans son étude sur les Mômeries, forme primitive du théâtre vénitien ; c’est son bizarre et mobile génie qu’il retrouve dans les Lettres de Messer Andréa Calmo, un des fantaisistes les plus originaux de la Renaissance, qui « libertin, bouffon, ennemi des pédans et de tous hommes graves, a su jouir en philosophe des biens de la vie. » Et lorsque, dans le dernier article du recueil, il célèbre le talent d’un artiste de notre temps, le peintre vénitien Giacomo Favretto, on sent que ses éloges vont surtout au Vénitien, à l’héritier des Longhi et des Tiepolo. Venise seule le touche : il ne vit que pour elle, ne sait parler que d’elle ; il l’aime avec la piété d’un fils et la tendresse passionnée d’un amant.
Aussi ne pouvait-il manquer de haïr cette civilisation nouvelle qui, sous prétexte de progrès, est en train de défigurer sa ville bien-aimée pour la rendre pareille au reste des villes. Il n’y a pas, en effet, un des articles de son recueil où sa haine ne s’exprime sous quelque forme spéciale, soit que, à propos des Mômeries, il déplore la décadence du théâtre vénitien, ou celle de la littérature vénitienne à propos des