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ait su prendre sur son siècle un ascendant quasi religieux, et, malgré cet ébranlement en 1765, le garder pendant trente ans encore sur une moitié du public ?

C’est que la place était vide. L’Eglise avait manqué à son rôle ; elle avait laissé échapper de ses mains la direction des esprits et des âmes. Les discordes haineuses qui la déchiraient, cent ans d’acharnement entre jésuites et jansénistes, lui avaient fait un mal infini. Les générations qui s’étaient succédé pendant le long règne de Louis XV n’avaient pas donné d’hommes éminens à la chaire chrétienne et à la théologie. La parole sacrée continuait à édifier les cœurs pieux dans l’ombre ; elle ne séduisait plus le siècle comme au temps de François de Sales, elle ne le dominait plus comme au temps de Bossuet. L’Eglise de France était riche, et ces malheureuses richesses amenaient au clergé beaucoup de recrues compromettantes. Aujourd’hui que ces temps de mollesse et de bien-être ecclésiastique sont loin dans le passé, nous apercevons les miasmes qui les couvraient comme un brouillard. L’orage révolutionnaire a vraiment fait du bien, et purifié l’air. La religion a ressaisi son prestige ; son attrait sur les âmes a refleuri. Les couvons, il y a cent ans, ont été fauchés comme l’herbe ; ils ont repoussé comme elle, et les fidèles sont venus par milliers se lier aux trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. À cette fin de siècle, l’Eglise a quelque droit d’être fière de l’œuvre accomplie : la prédication morale a retrouvé son centre chez elle. Nous ne comprenons plus qu’on ait été le chercher ailleurs ; qu’on ait cru voir la maison d’un apôtre dans le petit ménage où Jean-Jacques était en tête à tête avec Thérèse ; et que c’ait été un jour de trouble pour la foi, celui où une voix ennemie s’avisa de demander à Rousseau ce qu’étaient devenus ses enfans.


EUGÈNE RITTER.