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conservation desquels c’est leur droit de veiller. Les lieux qui ont servi de berceau aux grandes idées et aux grands hommes sont des lieux sacrés. » Ainsi parle le protestant ; et ainsi parleraient, peu s’en faut, et le catholique et le philosophe.

Que si, descendant de ces hautes considérations, on envisage seulement l’agrément qu’on pouvait souhaiter à la ville moderne, on se demande comment on a laissé détruire la villa Ludovisi. Tous ceux qui jadis s’y sont promenés dans les beaux jours d’hiver, ont gardé le souvenir de son charme doux et sévère : ses allées ensoleillées, son bois de chênes verts et de pins parasols, sa célèbre avenue de cyprès. Les marbres de sa galerie rappelaient la Grèce, les vieux murs de la ville auxquels s’adossaient ses jardins parlaient de la grandeur romaine ; le casino avec ses fresques était un dernier écho de la Renaissance. La villa Ludovisi n’existe plus ; les terrains en ont été vendus et morcelés, les bandes noires s’en sont emparées et y ont construit des maisons de rapport. Sans doute, quelques palais somptueux ont été élevés, les marbres célèbres ont été replacés avec honneur dans des salles bien éclairées. Mais là non plus la spéculation n’a pas réussi, de grands espaces poussiéreux restent non bâtis ; des constructions commencées et abandonnées deviennent des repaires dangereux et infects. Si elle était à vendre ne fallait-il pas en profiter ? Qui donnera des parcs, des jardins à la nouvelle capitale ? Compte-t-elle garder longtemps l’usage de la villa Borghèse et de la villa Pamphili ? Est-elle assurée qu’on lui fera de tels présens, ou sera-t-elle assez riche pour de telles acquisitions ? La villa Ludovisi, beaucoup moins vaste, mais encore enviable, ne pouvait-elle devenir l’ornement et le refuge des nouveaux quartiers de la gare ?

Une atteinte plus grave est cependant reprochée de toutes parts, et dans Rome même, au gouvernement italien. Malgré le sentiment public, malgré les avis contraires de l’édilité romaine et de l’académie de Saint-Luc, on a résolu d’ériger sur le mont Capitolin une statue équestre de Victor-Emmanuel. Il faut que cette statue domine la ville et soit aperçue du Corso. On a fait table rase, pour élever le monument à étages qui doit la supporter, de toute la partie nord de la colline ; le couvent de l’Ara cœli avec son beau cloître a déjà disparu ; et dans les expropriations et les énormes travaux de terrassement plusieurs millions sont déjà enfouis. Que deviendra cependant l’incomparable tableau qu’offrait de la place du Capitole l’immense escalier en plaques de marbre sillonnées encore