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LE DÉSASTRE.

avait sollicité l’Empereur de résigner le commandement, de rentrer à Paris. Le souverain s’y était refusé, ne voulant revenir dans la capitale qu’en vainqueur ; déjà la presse révolutionnaire l’accusait d’être cause de la guerre, le rendait responsable des malheurs publics…

Raidissant sa taille mince, l’air plus volontaire que jamais, comme s’il regrettait son expansion, il ajouta :

— Allons, au travail ! Ce n’est pas le moment de s’abandonner !

Vers le soir, Du Breuil profita d’un instant de liberté pour courir chez les Bersheim. Il pleuvait, et le temps, trop fréquemment maussade, faisait paraître Metz plus triste, avec ses pavés glissans. On avait retiré des balcons une partie des drapeaux. L’oriflamme arborée au sommet de la cathédrale pendait, comme une grande loque. Sur toutes les places, des voitures de déménagement, des chariots de paysans stationnaient. Des mobiles de corvée, en blouse grise, passaient, pliant les épaules sous l’ondée. Un grand garçon à lunettes, barbu, coiffé d’un képi trop petit, comiquement empêtré d’un sabre-baïonnette, sortit d’une maison et fit le salut militaire.

— Ah ! mon commandant ! laissa-t-il échapper d’une voix gémissante…

Et voyant le regard étonné du commandant, il balbutia qu’il avait eu l’honneur de déjeuner avec lui chez les Bersheim, se nomma :

— Gustave, Gustave Le Martrois. Mme  Bersheim, annonça-t-il, est bien malade… Maman est auprès d’elle. Pourtant rien ne prouve que ses fils soient perdus.

Sur le seuil de la grande porte, ils rencontrèrent le Père Desroques, qui salua courtoisement. Il était venu prendre des nouvelles, la tristesse donnait plus d’expression encore à sa physionomie ardente :

— Dieu nous éprouve, soupira-t-il. Jamais la foi n’a été plus nécessaire.

La porte vitrée du perron s’ouvrit ; Bersheim, tête nue, parut, et en reconnaissant les nouveaux venus, s’élança vers eux, les traits décomposés :

— Vous savez quelque chose ?

Hélas ! non, Du Breuil ne savait rien. Comment aurait-il su ? Le docteur Sohier descendait les marches du perron, sanglé