Il vit autour de lui des formes qui allaient et venaient en se baissant. C’étaient des infirmiers et un aumônier, cherchant de nouveaux blessés, les hissant sur des cacolets. Il continua d’avancer. Un homme promenant sur le sol une lanterne de voiture se releva. Bersheim ! Un paysan se tenait à côté de lui.
— Vous ? dit Du Breuil saisi.
— Qui est là ? demanda Bersheim peureusement, comme un homme qui ne s’attend pas à être reconnu. Il haussait la lanterne, cherchant à distinguer…
— C’est moi, Du Breuil.
— Vous ? ah ! mon ami !
Il se tourna vers le paysan, lui tendit la lanterne.
— Tiens, Thibaut ! amène la voiture, il y a des blessés ici. La lumière s’en alla, cahotée aux mouvemens de l’homme boiteux. C’était si triste, cette lumière qui s’éloignait… Du Breuil tressaillit ; Bersheim venait de lui prendre le bras.
— Écoutez !…
Des plaintes très douces, des plaintes très faibles, où se fondaient des mots inarticulés et des cris sans force, suivaient d’un regret la lumière secourable. Des blessés la voyaient disparaître, et tendaient vers elle un suprême élan qui ne soulevait pas même les bras, pas même la tête, agitait à peine les lèvres, et qui pleurait, comme un long vagissement d’appel :
— Par ici, venez, venez… soufflaient ces bouches sans haleine.
Oh ! ce râle des mourans, si bas, si bas, Du Breuil en eut le cœur retourné.
— Oui, oui, disait Bersheim, en grossissant sa bonne voix dans les ténèbres, oui, oui, mes amis.
Mais maintenant, comme s’ils cessaient d’espérer, les mourans s’étaient tus, et Bersheim, les yeux pleins de larmes, dit à Du Breuil :
— Je n’y vois plus. Tous ces pauvres gens… c’est affreux.
Alors comme ils faisaient quelques pas en trébuchant, car la lune venait de disparaître, et comme on entendait le grincement des roues du char à bancs, du creux d’un fossé sortit une voix étrangère :
— Camarates !
Ils eurent la même idée, le même sentiment. Et sans parler, sans se regarder, passèrent.