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public de 1793 et de 1794 ; mais ces temps étaient déjà loin, et les mœurs du Directoire avaient amené dans l’Etat une révolution analogue à celle que la guerre de conquête avait amenée dans les armées. Il n’y aura plus de Championnet.


VI

Le Directoire a mis en prison le plus pur républicain de l’armée ; il n’a supprimé ni sa propre sottise, ni la corruption qu’il a répandue dans les armées et dans la république. « Tu ne peux, écrit, d’Ancône un agent civil, aussi peu suspect que possible d’éblouissement militaire, Mangourit, tu ne peux te peindre la tyrannie et le brigandage qu’on exerce dans ce pays. Calonne, Mandrin, Cartouche, n’étaient que des farceurs. » Paul-Louis Courier résume tout en trois mots : « C’est trop dégoûtant. » Fouché revient à Paris et dit à Barras : « L’Italie est mécontente des mesures que prend le Directoire et qui ne tendent à rien moins qu’à mettre la République cisalpine dans la dépendance de l’empereur ; je crois devoir vous en avertir, et souvenez-vous surtout qu’une armée irritée peut devenir funeste à un gouvernement tel que vous. » Le Directoire est à bout d’expédiens. Joubert, à Milan, exige le départ de Faypoult ; il parle avec insolence ; le Directoire obéit et envoie Faypoult à Naples, où il culbute Championnet. « Le général Joubert aspire à la célébrité de Bonaparte », écrit un agent étranger. Le Directoire s’en inquiète et offre à Bernadotte le commandement de l’Italie ; mais Bernadotte refuse parce que le Directoire prétend lui imposer un commissaire dont il ne veut pas.

Rewbell — l’homme le plus intelligent du Directoire, — avait discerné, dès 1795, le péril que les armées feraient tôt ou tard courir à la république : mais son intelligence ne va pas jusqu’à comprendre que le péril des armées n’est que la conséquence de la guerre de conquête. Ce démocrate, retors et rude, qui redoute César, qui ne servira pas l’empire, fait, un jour, à Sandoz, cet aveu étrange des contradictions qui offusquent son esprit, l’empêchent de voir cette dictature que ses pareils et lui préparent, rendent nécessaire à la France et vers laquelle ils marchent, pour ainsi dire à reculons. « La guerre !… Elle est devenue notre élément, et nos victoires et nos conquêtes consolident notre puissance. L’embarras du Directoire n’est pas de recruter des hommes et