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temps de la Fronde marqué par une égale confusion en littérature et en politique, époque de lyrisme, de poésie irrégulière, d’emphase empruntée à l’Espagne, de mauvais goût emprunté à l’Italie, parmi ces poètes « grotesques » que Gautier s’emploiera à réhabiliter, les Théophile, les Saint-Amant, les Cyrano, et ce Scarron, esprit biscornu dans un corps contrefait, l’auteur du Don Japhet d’Arménie, prototype de César de Bazan, et du Roman Comique, prototype du Capitaine Fracasse. Cette littérature s’appelle alors la littérature burlesque. Refoulé vers 1660 par l’avènement du goût et de la raison, le courant rentre sous terre ; c’est pour affleurer de nouveau et reparaître, avec d’ailleurs toutes sortes de transformations, au début de ce siècle. Chez nul autre écrivain ce tour d’esprit n’est aussi frappant et cette disposition ne se révèle avec autant d’intensité que chez Victor Hugo. Il a naturellement le goût de l’extraordinaire, de l’anormal, du bizarre et du difforme. Il a l’imagination bouffonne. Tout ce qui est « baroque », idées, croyances, noms, a pour lui de mystérieuses séductions. Il énumère avec complaisance dans la Préface les vampires, les ogres, les aulnes, les psylles, les goules, les brucolaques, les aspioles, comme la gargouille de Rouen, la gra-ouilli de Metz, la chair salée de Troyes, la drée de Montlhéry, la tarasque de Tarascon. Il multiplie dans Cromwell les consonances abracadabrantes, Siboleth, Schiboleth, Stharnabuzaï, Agag, Sochoth-Benoth et Belatucadrus. Le père de Han d’Islande et de Habibrah rêve déjà de Quasimodo. Il est comme fasciné par la figure des fous de cour. Trick, Giraff, Gramadoch et Elespuru annoncent l’Angély : il restera à humilier le roi devant le fou et à jeter en pleine scène, comme un suprême défi au bon sens, le personnage du bouffon sublime. C’est donc encore en lui-même que Victor Hugo aperçoit cet élément du grotesque, et il ne fait ensuite que le projeter en dehors de lui. Doué d’une vision grossissante il enfle démesurément le rôle du grotesque, lui subordonne tout le moyen âge et le fait déborder sur l’époque moderne. Habitué aux rapprochemens imprévus et fortuits, il le rattache à l’influence chrétienne dont tout le monde parlait depuis Chateaubriand. — Telle est la démarche de l’imagination lyrique. Le poète se fait le centre de tout et réduit l’univers à graviter autour de lui.

Le lyrisme éclate aussi bien dans la forme et achève la déroute du raisonnement. Car ceux mêmes qui renoncent à défendre les idées de la Préface se rejettent sur le style. Encore faudrait-il s’entendre et serait-il bon de savoir si un même style convient à tous les genres, et si une ode, une scène de théâtre, un récit épique, un chapitre