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ne s’arrête pas à la surface et si on va au fond des choses, on arrive à une conclusion différente. Il y a plusieurs mois déjà que l’Europe aurait pu terminer les affaires de Crète, si elle l’avait voulu. Le concert européen, dont on a tant médit, se serait un peu relevé par-là dans l’estime générale. Pendant qu’il est aux prises avec les difficultés de Constantinople, il laisse s’en accumuler de nouvelles à la Canée. Cette conduite est si maladroite, si difficile à comprendre, si impossible à justifier, qu’on se demande si elle ne cache pas quelque arrière-pensée, de celles-là peut-être qu’on n’ose pas s’avouer distinctement à soi-même, qu’on évite de formuler, et qu’on laisse à l’état flottant et vague, en attendant du hasard l’occasion de les rendre plus précises. Nous voulons espérer que la situation de la Crète sera prochainement réglée, et que l’Europe n’y trouvera pas des obstacles insurmontables ; mais s’il en était autrement, si on apprenait tout d’un coup que des troubles se sont produits, que l’incendie enflamme de nouveau l’horizon, que le sang a coulé, on se demanderait à qui en revient la faute, et on n’aurait pas beaucoup de peine à le trouver. La Crète pourrait reprochera l’Europe de lui avoir manqué de parole, et, parmi les puissances elles-mêmes, on rechercherait sans doute d’où sont venus de malencontreux conseils d’ajournement. Se dérober à une tâche au moment où elle s’impose est aussi imprudent, parfois même aussi coupable, que de provoquer par une initiative imprudente des espérances qu’on ne peut pas satisfaire et des troubles qu’on ne peut pas apaiser.


Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.