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REVUE DES DEUX MONDES.

II

À toute allure, derrière le maréchal dont on voyait flotter le couvre-nuque blanc, l’état-major fonça, dans la direction du feu. À hauteur de Rezonville, les obus commençaient à pleuvoir. Nul doute. Des forces supérieures nous écrasent. Une nappe de fer et de plomb s’abattait sur le 2e corps surpris…

— Francastel ! Floppe ! Décherac ! La voix de Laune transmettait les ordres du maréchal, martelait de brèves indications. Du Breuil entendit : « Au maréchal Lebœuf… entrée en ligne… qu’il se hâte. » — Et Ladmirault ? se dit-il ; sans doute, on espère qu’avec sa vieille expérience il va marcher au canon. Il revoyait le regard du général, embrassant ses divisions immobiles, puis tourné, soucieux, vers le col de Lessy. Ah ! ce temps perdu !… Pourvu que ça ne soit pas, encore cette fois, comme à Forbach ! Pourvu qu’on ne se laisse pas écraser bêtement, pourvu que les secours arrivent ! »

Le maréchal et ses états-majors, suivis de l’escadron d’escorte, remontaient vers Vionville. On apercevait sur la gauche le hameau de Flavigny. La division Bataille l’occupait fortement. Chemin faisant, Du Breuil observa que les mitrailleuses n’étaient d’aucun secours. Elles ne valaient, décidément, qu’à courte distance. Le tir de nos canons restait de même inefficace, parvenait à peine à ralentir les colonnes ennemies. L’artillerie allemande, au contraire, nous causait un mal énorme, grâce à l’habileté du groupement, à l’incontestable supériorité de portée. Quelques bataillons pliaient déjà, décimés par un feu terrible. D’un mamelon à gauche de la route, on découvrit l’ensemble du terrain. L’attaque prussienne se dessinait nettement, par les bois sur Flavigny, par la plaine sur Vionville. On entendait, de l’autre côté du village, le son grêle de leurs petits tambours, battant la charge. Des feux de salve crépitèrent. Quelques maisons étaient en flammes. Des murs s’effondrèrent, sous les obus. Et par momens, à travers la fumée, tandis que la colonne d’assaut, rompue, tourbillonnait, Du Breuil percevait les notes joyeuses d’un clairon de chasseurs, jetant au vent le refrain du bataillon :

Ah ! Quel est donc, quel est donc
Celui qu’on aime ?
C’est le doux, c’est le douzième !