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LE DÉSASTRE.

De l’endroit où la brigade faisait halte, on voyait distinctement au loin des masses noires avancer sur un vaste plateau qui s’étendait à droite, de l’autre côté d’un ravin profond. Une batterie ennemie, se détachant du gros, prenait position, ouvrait le feu.

— J’ai reconnu le pays dans la journée, reprit Lacoste. Un bon terrain de charge, ce plateau-là. En face de nous, il y a un autre ravin, celui de Greyère. Écoute. On s’y bat.

— Et dur ! fit Du Breuil. — Il s’élevait une clameur lointaine sortie de milliers de bouches. Des sons coupés de tambours et de clairons, lançant la charge, arrivaient par bouffées, à travers la fusillade continue, le grondement monotone de l’artillerie.

— Encore en face, plus loin. Mars-la-Tour, et, sur la gauche, cette fumée, au-dessus des bois, Vionville.

Du Breuil, à ce mot, tressaillit : Vionville, le maréchal, son poste…

— Il faut que je parte. Adieu.

— Attends, fit Lacoste. Rien ne presse. Où rallies-tu ?

Du Breuil ne savait pas. Il chercherait. Il fallait seulement qu’il rapportât des nouvelles de Ladmirault.

— En voilà, je parie ! dit Lacoste.

Un officier d’état-major arrivait au galop. Il parlait au général de France, repartait. Une espèce d’inertie, une absence complète de volonté, paralysait Du Breuil. Il restait, au moral même, tout meurtri de sa chute. Le bruit se répandit qu’on allait charger, la brigade de la Garde en troisième ligne, derrière la division Legrand, précédée elle-même du 2e chasseurs d’Afrique resté seul de la division Du Barail.

— Attends, répéta Lacoste. Tu rapporteras des nouvelles fraîches.

Le colonel de Latheulade, passant devant le front du régiment, donna l’ordre de retirer les flammes des lances. Reconnaissant à la ceinture distinctive de Du Breuil, aux bandes dorées de sa culotte, un officier du grand Quartier général, il s’informa, lui apprit en échange ce qu’il savait : le 4e corps était engagé avec succès, mais, redoutant la menace sur son flanc de ces masses noires qui occupaient le plateau, le général de Ladmirault prescrivait à la cavalerie une action d’ensemble qui les contînt.

Haussés sur leurs étriers, les officiers virent alors le 2e chasseurs d’Afrique s’ébranler, disparaître dans le ravin, remonter à toute allure le revers opposé, puis sauter une route et, s’épar-