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LE DÉSASTRE.

heures après, et, durant tout Le combat, cette préoccupation constante de sa gauche…

— Délivré de l’Empereur, avait ajouté Décherac, son premier mouvement n'a-t-il pas été d’interrompre la marche ? Il était son maître, il respirait ! Metz est un point d’appui solide. À l’abri d’un camp retranché, avec une armée comme la nôtre, que ne peut un général habile ?… Eh ! eh ! messieurs, peut-être cette résolution qui nous consterne est-elle d’un politique… Nous voilà sous Metz à perpétuité…

Décherac parlait-il sérieusement ? On ne savait jamais, avec ce sourire sceptique.

— Admettons que la route de Mars-la-Tour soit barrée, avait fait observer Restaud, il nous reste celle de Conflans, celle de Briey… on peut percer encore !

— En attendant, répondait Décherac. l’armée allemande rétrécit le cercle à marches forcées, et nous allons nous installer avec Son Excellence sous les murs de la place.

— Est-ce notre rôle de discuter ? demandait Restaud. Pouvons-nous connaître la pensée qui dicte l’ordre auquel nous obéissons ? Le maréchal a sans doute de bonnes raisons de se replier sous la protection des forts. Qui sait s’il ne préfère pas harceler l’ennemi, le vaincre en détail ?

— Non, non, avait alors crié Du Breuil, puisque nous avons tant fait que de livrer deux batailles pour gagner Verdun, puisque tant de braves gens sont morts, au moins que le sacrifice n’ait pas été offert en pure perte ! La victoire nous appartient, de tout l’escompte du sang versé. Se replier dans ces conditions, c’est acte de fou, quittant partie gagnée, ou de lâche qui jette son arme, sous prétexte d’aller chercher des cartouches !… Il ne s’agit plus de recul, d’hésitations, de plan nouveau… Il s’agit de faire son devoir en homme, d’aller jusqu’au bout ! J’ai vu pas mal la troupe, depuis le matin… On s’est bravement battu, on ne demande qu’à recommencer ! Il n’est pas un soldat, je vous jure, pas un officier, qui, demain, à la lecture de l’ordre ne pousse un cri de douleur et d’étonnement… Les munitions ! les vivres ! Nous en manquons en pleine France, à douze kilomètres de notre centre de ravitaillement ? Eh bien ? Et les Allemands, comment font-ils, eux, à vingt lieues du leur ?

Plus nets, plus frappans encore que la veille, ces argumens se présentaient en foule à l’esprit de Du Breuil. Il préférait cepen-