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le vol, si sévèrement châtié quand un pauvre s’appropriait un morceau de pain, avait impunément cours sous forme de monopole, un seul capitaliste pouvant accaparer le grain nécessaire à la subsistance d’une nation, et réduire des millions d’individus à la famine.

Mais comment se produisit cette révolution ? Eut-elle quelques traits communs avec les révolutions européennes ? Aucun. Il ne s’agissait pas d’un gouvernement à renverser. La révolution fut pratiquement faite aussitôt que le peuple eut compris. Les travailleurs à gages, qui avaient été les premiers à souffrir de la concentration de la richesse, commencèrent le mouvement. C’est en 1867, que fut fondée aux Etats-Unis la première grande organisation du travail pour résister à la tyrannie des capitalistes. Les trade-unions se multiplièrent, les grèves se succédèrent rapidement et entraînèrent des paniques générales. Puis eut lieu la protestation moins turbulente, mais plus sérieuse encore dans ses résultats, des fermiers qui se liguaient en sociétés secrètes. Des agitateurs parurent dont le programme devait électriser un peuple qui gardait gravés au fond de l’âme les principes de l’immortelle Déclaration de l’indépendance, cette véritable Constitution de l’Amérique : égalité inaliénable de tous les hommes, droit imprescriptible pour chacun d’eux à la liberté et au bonheur. Malheureusement les églises, les universités, la presse furent longtemps contre l’intérêt national, attachées qu’elles étaient au char ploutocratique par des chaînes d’or. La presse, la première, — et non seulement les journaux, mais la littérature proprement dite — s’amenda. Des protestations véhémentes contre les iniquités sociales furent publiées de tous côtés ; puis, vers 1890, le mouvement se transporta dans le champ politique ; en 1892, un parti, organisé presque dans chaque Etat, émit un million de votes au moins en faveur de nationalisation des chemins de fer, télégraphes, systèmes de banque et autres affaires jusque-là monopolisées. Deux ans après, ce même parti avait gagné beaucoup de terrain, la coopération comptait d’innombrables partisans. Mais quand le plan d’un système industriel pour la nation tout entière, avec part égale dans les résultats, fut présenté au peuple, la chose lui parut d’abord trop belle pour être exécutable. Il était plein de bon sens, ce peuple américain. Attendez ! Le miracle s’accomplit dès qu’il y crut. Ce fut une explosion soudaine d’enthousiasme auquel la religion se mêla en dépit des églises.