« Ce ne sont plus, s’écrie l’auteur d’Égalité par la bouche de ses personnages, ce ne sont plus des milliers, ce sont des millions de diplômes qu’accordent tous les ans les Universités ! » J’entends bien, le mal actuel ne pouvait que s’exagérer, mais quel est le niveau de ces Universités et que valent ces diplômes ? Toute la question est là. Ecoutez la suite : « Il n’y a plus de centre des hautes études : chaque commune a son Université comme elle avait jadis ses écoles publiques. Mais l’économie politique et sociale forme la base de l’éducation. »
Nous assistons à une classe de l’école d’Arlington où des enfans de treize à quatorze ans apprennent l’histoire de la période qui précéda la grande révolution, notre histoire par conséquent. Garçons et filles sont réunis, le système si répandu déjà au XIXe siècle de la co-éducation étant devenu général, et voici sur quel sujet le maître les interroge : le système des profits envisagé comme méthode de suicide économique ! Au même âge, les enfans du vieux monde étudiaient leurs auteurs grecs et latins, — étude qui, comme le répétait dernièrement en Amérique même M. Brunetière, a le triple mérite de n’être ni professionnelle, ni confessionnelle, ni passionnelle, — c’est-à-dire de tenir la jeunesse au-dessus de tout ce qui agite et rétrécit les âmes. Mais ceux-ci se proposent une voie absolument contraire ; ils préconisent, à la façon de petits perroquets, un système assez semblable, sous un vernis de raffinement et de délicatesse qui le rend plus mensonger encore, à la triste utopie des Égaux de Babeuf. Du moins Babeuf avait la franchise de traiter en ennemis les lettres et les arts, sous prétexte que ce qui n’est pas communicable à tous doit être sévèrement retranché. M. Bellamy veut qu’il y ait place pour tout. Ils seront peut-être de grands poètes, de grands peintres ou de grands musiciens, ces petits messieurs qui détaillent avec aplomb dès leur bas âge les défauts inhérens au capital privé : considéré en tant que machine à produire la richesse et toute considération d’éthique à part, son abolition était indispensable. Ils déclarent avec non moins d’assurance que les moralistes qui faisaient jadis de la pauvreté un résultat de la dépravation humaine, susceptible de disparaître si le monde s’améliorait, ne pouvaient croire un mot de ce qu’ils disaient, une machine construite au rebours de toute méthode scientifique étant fatalement destinée à se perdre, sans que le fait d’être dirigée par des saints ou par des pécheurs y puisse grand’chose.