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Bourbons et des Habsbourgs, les Eglises protestantes d’Allemagne, emprisonnées dans les divers États, et protégées par ces États contre la concurrence de toute confession rivale, durent payer ce service en donnant leur liberté comme rançon. Les juristes, dans leur vaste arsenal, avaient des maximes toutes prêtes pour légitimer cette situation subalterne du christianisme évangélique ; et l’ensemble du système s’appelait le « territorialisme ». Il fut ébranlé, parfois ruiné, par le double assaut des idées révolutionnaires et des armées napoléoniennes ; le piédestal qu’avaient construit à l’État les légistes du passé fut reconnu fragile et commença de chanceler.

Mais Hegel vint à point, théoricien d’un jacobinisme métaphysique, pour offrir à l’État un autre piédestal. Son disciple Marheineke professait que l’État et l’Église n’étaient que les deux faces d’une seule et même institution. On put croire un instant que la maîtrise du prince sur les consciences, qui dans les sociétés moins avancées tient ses titres de la violence, les tiendrait à l’avenir de la spéculation la plus raffinée. Et tandis que les divers souverains allemands, entraînés par l’exemple de Napoléon, ébauchaient avec le Saint-Siège des projets de concordats, émancipateurs pour les catholiques, ils imposaient aux Églises protestantes un joug toujours plus pesant. Quelque temps durant, l’État prussien, supprimant les consistoires comme inutiles après les avoir progressivement dépossédés, rattacha les affaires d’Église, comme une simple branche de la police, au ministère de l’intérieur. Frédéric-Guillaume III voulut unifier en une seule église les réformés et les luthériens de son royaume : il ne recourut point à des colloques théologiques, qui auraient pu préparer, librement, sincèrement, un vrai rapprochement entre ces deux confessions ; il voulut que la divergence des croyances fût comme voilée par l’unité factice des institutions ecclésiastiques ; d’autorité, il édicta cette union ; pour symbole, elle eut un rituel liturgique (Agende), commandé par la volonté souveraine ; pour sanction, elle eut des dragonnades, dirigées par les gendarmes prussiens contre les luthériens récalcitrans, qui se refusaient à comprendre que « le nom du roi doit être sanctifié », tout comme celui de Dieu. Avec une désinvolture impérieuse, en dépit des protestations de Schleiermacher, le roi de Prusse jouait de sa crosse ; mais quant à son glaive, le vieux glaive défenseur de la Réforme, il l’abandonnait à la rouille ; l’époque était passée, où