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paire de chaussures et, sur la tête, un béret, ressemble beaucoup à un pionnier, à un. squatter, et qu’il juge très sévèrement les écoles anglaises, qu’il accuse de ne plus répondre aux conditions de la vie moderne.

« L’enseignement actuel, disait-il à M. Demolins, forme des hommes pour le passé, et non pour le présent. La majorité de notre jeunesse gaspille une grande partie de son temps à étudier les langues mortes, dont très peu ont l’occasion de se servir dans la vie. On effleure les langues modernes et les sciences naturelles, et on reste ignorant de tout ce qui concerne la vie réelle, la pratique des choses et leurs rapports avec la société. Ce qui rend la réforme difficile, c’est que nos écoles subissent l’influence des Universités, pour lesquelles elles préparent un certain nombre de leurs élèves. Or ces Universités, comme toutes les vieilles corporations, ne sont pas maîtresses d’elles-mêmes ; un spectre invisible et intangible plane au-dessus du directeur et des maîtres ; c’est l’esprit de tradition et de routine. » Je fis observer à mon voisin que depuis trois siècles l’Angleterre est une pépinière de hardis pionniers, d’intrépides défricheurs de terres lointaines, que ceux qui ont colonisé le nouveau monde et l’Australie n’avaient point été élevés par le docteur Reddie, que lorsqu’ils s’embarquèrent, l’éducation harmonieuse n’avait point été encore inventée, qu’il est permis d’en conclure que l’esprit de tradition et les vieilles méthodes ont du bon et que les inutilités ne sont pas toujours inutiles.

Il se calma et ne parla plus de brûler nos collèges ; mais il s’écriait mélancoliquement : « Que penser d’un pays où tous les ouvriers ont des pianos ? » Je l’assurai que, d’après les renseignemens que j’avais pu recueillir, les ouvriers anglais n’ont pas tous des pianos, qu’au fait M. Demolins n’en a vu qu’un dans le salon de cet ouvrier mécanicien, qui mange à son goûter de cinq espèces de gâteaux et se croirait perdu d’honneur s’il reprenait du thé sans avoir rincé sa tasse, que ses camarades ne vivent pas tous dans l’abondance, que quelques-uns sont assez misérables et habitent des bouges, qu’éprouvant le besoin d’étourdir leurs chagrins, ils se livrent à la boisson, que, s’il en faut croire les bruits qui courent, il y a un certain nombre d’ivrognes en Angleterre, que M. Demolins le sait et qu’il sait aussi que ces ivrognes ne sont pas tous des gentlemen. « Vous avez tort, ajoutai-je, de vous laisser aller au découragement ; M. Demolins ne nous promet-il pas que si nous combattons résolument nos vices naturels, si nous réformons nos goûts, si nous nous défaisons de nos habitudes, nous pourrons, Dieu aidant, devenir des Anglo-Saxons de deuxième classe ? — Bah ! répliqua-t-il, M. Demolins a voulu nous ménager. Le fond de sa pensée