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LE DÉSASTRE.

nait avec la confirmation du désastre… Le Corps législatif avait été envahi par la foule ; le ministère s’était dissous de lui-même, l’impératrice enfuie en Angleterre, le Prince impérial retiré en Belgique. La République était proclamée. Paris restait calme… Voilà ce qui se répétait, grossi, déformé, au milieu de l’incrédulité des uns, de l’acceptation aveugle des autres, de la stupeur de tous : Thiers ministre, les députés de Paris se réunissant pour constituer le gouvernement de la défense nationale, Trochu président.

Avant le soir, 600 prisonniers français, que l’ennemi devait en échange de prisonniers allemands, arrivaient et racontaient ce qu’ils savaient, les uns plus, les autres moins, selon l’heure à laquelle ils avaient été pris. Tous étaient d’accord sur le fond : l’armée de Mac-Mahon, composée de quatre corps (le 1er Ducrot, le 5e e de Failly, le 7e Douay, le 12e Lebrun), avait quitté Châlons le 21 août, pour se diriger sur Reims. Elle était remontée au nord par Rethel, le Chêne-Populeux, Beaumont, où Failly, le 30, avait été battu ; pressée par l’ennemi, elle avait dû, le 1er septembre, renoncer à se porter sur Metz par Stenay, et s’était établie dans le fond de Givonne, la droite à Sedan. Jusqu’à midi, l’action nous avait été favorable ; puis l’ennemi ayant écrasé notre gauche, on s’était mis en retraite sur Mézières dans le plus grand désordre. Les 600 prisonniers, appartenant à l’aile gauche coupée et enveloppée, n’en savaient pas davantage. On leur avait soigneusement annoncé en route la captivité de l’Empereur, la capitulation de Mac-Mahon. Mais c’était sans doute, disaient-ils, un bruit démoralisant propagé par l’ennemi. Du Breuil l’espérait, Restaud en était sûr.

Marquis, venu aux nouvelles, les officiers des différens états-majors accompagnant les commandans de corps d’armée, Gex, Cussac, Carrouge, tous, dans une anxiété fébrile, écoutaient les propos d’un officier du maréchal : quelques turcos, interrogés par Bazaine, venaient d’affirmer que le 1er et le 7e corps avaient été anéantis, l’Empereur présent. Mais certaines affirmations étaient confuses, d’autres contradictoires. Bersheim, accouru de Metz, apprit à Du Breuil l’effervescence de la ville ; les racontars les plus étranges y circulaient. Marquis les certifia, brodant avec assurance :

« Mac-Mahon avait destitué de Failly, Douay ravageait le Palatinat, l’Autriche avait déclaré la guerre à la Prusse, l’Italie envoyé 100 000 hommes dans le Tyrol… »