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laisseront dépouiller de cette prépondérance sans crier vers « la grande », vers « la plus grande Allemagne » ? Mais ceux qui sont tout près de la Bavière et de la Saxe, les premiers atteints ou menacés dans la possession de leur monopole, les Allemands de Bohême n’appellent-ils pas déjà à l’aide par-dessus l’Erzgebirge ? N’est-il pas sorti déjà, le cri du cœur : « D’abord Allemands, et seulement après Autrichiens » ? Et si tous ces Allemands de Bohême, tous ces Allemands d’Autriche se mettent à crier vers « la plus grande Allemagne », voudrait-on jurer qu’elle ne prêtera pas l’oreille et n’écoutera point au moins les plus proches ? Mais si elle les entend, si l’Allemagne ressent par-là le contre-coup de la crise autrichienne, ce contre-coup s’arrêtera-t-il à elle ? ne se répercutera-t-il pas ? et, à son tour, l’Europe n’en ressentira-t-elle rien ?

Les amateurs de solutions rapides ont vite fait de décider. « Les Tchèques sont des Slaves et, par conséquent, lorsque le royaume de Bohême sera entré en tiers dans la raison nationale : Autriche-Hongrie-Bohême, leur poids déplaçant le centre de gravité de la monarchie, l’axe politique, qui s’éloignera de l’Allemagne, se rapprochera naturellement de la Russie. » C’est, en vérité, trop commode et l’affaire n’irait pas tout droit, parce qu’il n’y a pas seulement des Tchèques en Autriche ; parce que les Hongrois ne sont pas des Slaves ; parce que tous les Slaves ne sont pas des Russes ; parce qu’enfin il y a une Allemagne. Oui, le malheur veut, il est fatal, il est écrit, la force des choses fait que toute rupture dans l’équilibre artificiel de la monarchie austro-hongroise doit amener une rupture correspondante dans l’équilibre, également artificiel, de l’Europe. Mais cette rupture, cette troisième ou quatrième transformation de l’Autriche, il n’est presque plus en la main d’homme vivant de l’empêcher ; et, s’il vit aujourd’hui pour le repos du monde, l’homme qui seul peut la retarder, pauvre sécurité que celle qui ne se fonde que sur les jours comptés d’un homme !

Pour toutes ces raisons, étant donné que l’Autriche est un État qui devient, il importe à l’Europe de savoir ce qu’elle devient, afin de savoir ce qu’elle-même deviendra. Le nœud du problème européen n’est ni à Constantinople, comme on s’est habitué à le dire, ni à Berlin, comme quelqu’un voudrait le donner à penser, ni à Saint-Pétersbourg, quelles que soient les destinées, encore mystérieuses, de la Russie ; il est à Vienne ; ou plus exactement, l’avenir prochain de l’Europe est en train de s’élaborer dans un