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longue aspiration des peuples vers l’unité a entretenu la flamme, et si ardemment qu’à la fin, ce qu’avaient fait nos anciens rois, l’esprit allemand et l’esprit italien, recueillis et concentrés par Guillaume Ier et Bismarck, par Victor-Emmanuel et Cavour, l’ont fait dans ce siècle même. En Autriche, au contraire, rien de fait, parce que, peut-être, les races étant plus dissemblables, l’esprit national n’a pas soufflé, et peut-être parce que, quand on eût pu battre le fer, le forgeron royal a manqué.

Il n’y a point d’Autriche, en somme, parce qu’il n’y a pas eu à temps de rois ou d’empereurs d’Autriche. Ce n’est pas non plus un paradoxe, car il y a eu des rois de France avant qu’il y eût une France. Victor-Emmanuel était encore roi de Piémont et Guillaume Ier roi de Prusse que déjà ils étaient en vertu, de par leurs ambitions et leur volonté, l’un roi d’Italie, et l’autre empereur allemand. Ils n’avaient qu’un objet, qu’une pensée, circonscrite en des limites certaines, la pensée « italienne » ou la pensée « allemande » ; et de faire l’unité de l’Italie ou l’unité de l’Allemagne, c’était pour eux plus que grandir, c’était atteindre le plein épanouissement. Mais, tout à l’opposé, pour le saint Empereur romain de la dynastie de Habsbourg, borner ses efforts à l’Autriche, c’était se restreindre et diminuer ; il ne pouvait avoir la pensée « autrichienne ». Et c’est pourquoi, après 1806, lorsqu’il n’y eut plus de saint Empire, vainement on essaya de créer une Autriche : on ne put que ramasser sous cette étiquette, sous cette expression géographique ou diplomatique, des nations germaniques, — et non germaniques, — démembrées du saint Empire disparu. Ainsi, parce que les Empereurs, orgueilleusement dits romains, manquèrent autrefois à l’Autriche ou la négligèrent, il y a bien maintenant des Empereurs autrichiens, mais il n’y a pas d’Autriche.

Par quelque cause qu’on veuille, au surplus, l’expliquer, le fait éclate avec une évidence saisissante. Qui regarde seulement une carte ethnographique d’Autriche-Hongrie y aperçoit tout de suite trois groupes principaux, trois races : au nord, au nord-est et au sud-ouest, des Slaves ; au nord-ouest et à l’ouest, des Allemands ; à l’est, les Magyars. Races juxtaposées, et qui se sont toutes gardées intactes, qui ne se sont ni mêlées ni fondues : si ce n’était abuser des images, nous dirions que l’Autriche, avec ces trois races, ces trois groupes ethniques principaux, ressemble à un vase cloisonné, où les pâtes rose, verte, jaune