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Allemands, Slaves et Magyars. Dans le développement de la monarchie, ni l’une ni l’autre n’a agi pour aider à l’unification, mais au contraire pour perpétuer les divisions ; ni l’une ni l’autre n’a su devenir assez large, assez générale pour être raison d’unité ; et trop étroites, trop fermées, trop particulières, elles n’ont jamais été que raison de particularisme.

D’autre part, il n’y a pas eu, ou presque pas, d’histoire commune aux États de la monarchie austro-hongroise. Il n’y a pas une histoire nationale autrichienne, et le moins qu’on puisse compter d’histoires en Autriche-Hongrie, c’est trois : une d’Autriche, une de Bohême, une de Hongrie. Encore est-ce faire bon marché de bien des gloires, de bien des traditions et de bien des souvenirs. Mais veut-on, en forçant les faits, qu’il y ait une histoire nationale d’Autriche ? le plus tôt qu’on puisse la faire commencer, c’est à la réunion des trois couronnes d’Autriche, de Bohême et de Hongrie sur la tête de l’empereur Ferdinand, en 1527 ; le plus tard qu’on puisse la faire finir, c’est au Compromis entre l’Autriche et la Hongrie, en 1867 ; et tout l’intervalle n’est rempli que des luttes déclarées ou sourdes, du grand procès en restitution de personnalité, de deux de ces pays contre le troisième. Puis, — comme si c’était trop peu, — de ces trois histoires particulières se relèvent ou se lèvent des histoires plus particulières encore, et qui toutes se vantent d’être, chacune en soi, une histoire nationale. Le grand-duché ou principauté de Transylvanie en a une, le royaume de Croatie-Slavonie-Dalmatie en a une… Mais il n’y a pas une histoire autrichienne qui soit vraiment commune et nationale ; nationale, non point de telle ou telle nationalité, mais de toutes en une seule nation.

Et il n’y a pas, pour tous les États en un seul État, une seule loi, mais plusieurs : il y a des lois de tel ou tel État. Ce sont les Diètes de pays qui le plus souvent font les lois pour chaque pays ; et la loi générale elle-même, la loi centrale, impériale ou royale, comporte toujours des exceptions ou des dérogations provinciales. — Point de langue, point de littérature, point de religion, point d’histoire, point de loi communes ; tout a manqué à ces peuples pour s’unifier en un peuple.

Non seulement, en leurs couches profondes, nulle force capable de former tourbillon n’est venue les remuer, les soulever, les entraîner, les jeter l’un vers l’autre et l’un dans l’autre ; mais à la surface même, en aucune de leurs classes, ils ne se