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d’habitation isolée au milieu des terrains de culture. L’insécurité d’un pays longtemps parcouru par les invasions contraignait autrefois les paysans à se réunir en agglomérations compactes, et la Basilicate ou la Pouille restent peuplées de gros villages clairsemés plutôt que de hameaux multipliés. Lorsque François Lenormant visita en 1882 Melfi et Potenza, il fut très étonné de voir ces villes, dont l’une est une préfecture et l’autre une sous-préfecture, entièrement habitées par des paysans ; il a décrit d’une façon saisissante le retour de ces travailleurs qui revenaient vers la ville par troupes, et qui, de leur champ lointain, arrivaient à leur foyer après une marche longue et pénible. Mais, dans la montagne, il est naturel qu’il faille chercher le lopin de terre qui donnera son blé ou sa vigne bien loin de la vieille ville plantée sur la position la plus inaccessible et défendue par la muraille des rochers et le fossé des lits de torrent. Il sera bien plus frappant d’observer non point les régions montagneuses, mais les plaines fécondes de la Pouille.

Nous sommes à Andria, une ville de cinquante mille âmes. Tous ceux qui habitent ces petites caves où l’on descend en contrebas des rues sont des travailleurs de la terre. Pas un café, pas une auberge ; le jour, personne dans les rues et sur les places que les enfans par centaines : hommes et femmes sont partis aux champs. Hors de la ville, jusqu’aux clochers lointains de Trani et de Corato, on n’aperçoit pas un village : rien que des oliviers et des vignes ; et ce sont les gens de la ville qui vont cultiver ces enclos, très loin des dernières habitations. Pour rentrer chez eux, quelques-uns ont à marcher deux ou trois heures, et leurs caravanes couvrent les chemins au coucher du soleil. Chaque soir ils se retirent dans la ville ouverte, parce que leurs ancêtres passaient la nuit dans l’enceinte élevée contre les pillards ; aucun ne songera à se bâtir une masure dans la campagne, et leurs fils referont après eux le dur voyage quotidien.

Ainsi les paysans des grandes villes de Pouille, qui, pour un jour de travail, ont à faire plusieurs heures de chemin, aussi bien que les montagnards des Abruzzes, en route pendant des mois entiers, n’ont pas déracines vives qui les retiennent au sol, puisque la terre qu’ils ensemencent et la demeure où ils pullulent sont séparées par de longues distances.

Des montagnes à la mer, dans la vie des laboureurs comme dans celle des bergers, le voyage annuel ou quotidien est donc