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Cela, c’est la dévotion napolitaine, et rien ne ressemble moins au peuple insouciant et bruyant de la grande ville que les paysans austères des provinces. Quelques bandes d’hommes et de femmes viennent à Montevergine, des Abruzzes et de la Terre de Labour : ils montent pieds nus le sentier tout hérissé de cailloux aigus, qui serpente jusqu’en haut de la montagne sainte, et ils psalmodient des mélopées plaintives, qui répondent comme un chant de trépassés aux chansons enivrées d’amour que se lancent d’un rocher à l’autre les groupes joyeux venus de Naples.

Dans les Abruzzes, dans les Pouilles, dans la Basilicate, les travailleurs des champs, vont seuls vers les grands sanctuaires, et les petites gens des villes, boutiquiers ou employés, ne se soucient pas de les suivre. Le pèlerinage est ici chose populaire et traditionnelle, — le contraire, on le voit, du moderne pèlerinage français. — D’abord il n’est question ni d’organisation, ni d’état-major : si les chemins de fer affichent des réductions de prix, c’est la civilisation nouvelle qui adopte la vieille habitude et qui s’offre à en faciliter l’accomplissement sans prétendre à la réglementer. Le clergé même ne prend aucune part aux préparatifs de l’expédition : son rôle se borne à célébrer les offices devant la foule qui est accourue. Détail très remarquable : ce n’est pas le curé qui, sur la route, marche en tête de ses ouailles, c’est un ancien du pays qui sert de guide et de chef. Le village va visiter les saints sans être accompagné du prêtre. En effet, le pèlerinage n’est pas pour le paysan un devoir extraordinaire de piété, mais un acte périodique de la vie, devenu aussi nécessaire que le labeur de chaque jour. Il y a temps pour le pieux voyage comme pour tel détail des travaux rustiques, et le moment où la tradition a placé le départ vers les sanctuaires les plus vénérés est dicté par les mêmes conditions de climat qui régissent les migrations des bergers et des moissonneurs : le paysan quitte les champs pour parcourir les églises à l’époque de l’année où la terre laissée à elle-même peut continuer son travail sourd sans l’aide de l’homme. De même que les mois d’été sont les mois des récoltes, le mois de mai est celui des pèlerinages. Les groupes qui passent en chantant sur les routes ne sont pas composés seulement d’éclopés et de malingreux : les familles partent tout entières, depuis l’aïeul jusqu’aux petits enfans, non point pour demander telle grâce ou pour conjurer tel mal, mais pour avoir leur part des bénédictions nécessaires à tous ; les hommes les plus robustes sont de la bande, et