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le sujet qui nous occupe. Ainsi, au XVIe siècle, l’augmentation de la population de l’Angleterre fut très faible et elle resta encore très modérée pendant le XVIIIe siècle, surtout pendant la première partie. Au contraire, dans le courant du XIXe siècle, la population de l’Angleterre proprement dite a quadruplé, s’élevant en 1896 à 30 731 000 âmes.

Voici donc le même peuple qui, dans trois siècles successifs, accroît le nombre de ses habitans dans la proportion infinitésimale de 15 à 16 pour 100 pendant l’ensemble du premier siècle, dans la proportion modérée de 45 à 50 pour 100 pour l’ensemble du siècle suivant, et dans la proportion énorme de 260 à 280 pour 100 dans le siècle le plus récent. On ne peut arguer ici d’un changement de race, car si un peuple est resté fidèle à lui-même, défendu contre tout alliage, au moins depuis le début des temps modernes, c’est bien le peuple anglais. Or, il s’est montré successivement, dans le cours des trois derniers siècles, d’abord peu prolifique, puis modérément prolifique, enfin excessivement prolifique, ou du moins, car le phénomène de l’accroissement de la population dépend de la combinaison de deux facteurs, la natalité et la mortalité, le jeu de ces deux forces chez le peuple anglais a abouti à un accroissement très faible de la population au XVIIe siècle, à un accroissement modéré au XVIIIe, et à un accroissement énorme au XIXe.

Ces variations sont incontestables ; elles ont des raisons d’être qui ne sont pas dans la race : ce sont les circonstances économiques et morales, les influences extérieures et les influences psychiques qui ont déterminé ces prodigieuses différences dans l’allure du mouvement de la population en Angleterre, depuis le commencement des temps modernes. Au XVIIe siècle et jusque vers 1760, 1e peuple anglais était surtout un peuple agricole ; il se composait principalement de petits tenanciers ; l’industrie qu’il pratiquait était la petite industrie, régie par les guilds ou corporations et leurs statuts restrictifs. Il n’y avait pas de grandes villes en Angleterre, sauf Londres, qui encore avait à peine la population d’une de nos grandes villes de province. La ville principale, après Londres, était Bristol, à qui l’on n’attribuait guère que 25 000 âmes lors de la Révolution de 1648. Ce peuple de petits tenanciers ruraux et de petits artisans, composant une sorte de société cristallisée, devait se signaler par des mariages prudens, souvent tardifs et modérément féconds.

A partir de 1760, il s’effectua un changement prodigieux, qui