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M. Massenet fut celui de M. Reynaldo Hahn, et plus d’une page de ce délicat « mélodiste » en porte témoignage. Il semble que de la « mélodie » actuelle les derniers vestiges de Gounod soient effacés ; la forme du Soir ou du Vallon est abolie. Mais de M. Massenet l’influence plus récente demeure et le charme n’est pas évanoui. C’est peut-être que ce charme, un peu flottant et vague, laisse davantage à ceux qui le subissent l’illusion de leur liberté. A la mélodie arrêtée et classique de Gounod, quelques jeunes préfèrent celle de M. Massenet, plus aisée, plus lâche, et dont ils ont moins à redouter la discipline et la contrainte. Dans l’histoire du « genre » que nous étudions aujourd’hui, M. Massenet occupe une place importante. Par lui s’est introduit et comme insinué dans la « mélodie » française quelque chose du lied allemand, de celui de Schumann surtout. Le premier parmi nous, M. Massenet a composé des recueils, ou tracé des cercles de chants (liederkreise), qui, par l’intimité et la fantaisie, rappellent un peu les Amours du poète ou L’amour d’une femme. — « Que l’heure est donc brève, qu’on passe en aimant ! » — A peine un chant, moins encore une romance, ces quelques mesures me paraissent un exemplaire achevé, le fragile et délicieux chef-d’œuvre d’un mode nouveau.

Le disciple a reçu de son maître le secret des murmures mélodieux. M. Hahn excelle à moduler quelques vers sur un accompagnement discret et doux. Ce jeune homme possède l’esprit de finesse et même de subtilité ; quelque chose de frêle et de volatil est dans ses chants. La phrase musicale s’y affine et s’y amincit jusqu’à n’être plus qu’un filet sonore. M. Massenet n’a rien de plus ténu que deux ou trois des Chansons grises ; avec cela, rien de plus enveloppé, de voilé par une harmonie plus légère. On retrouve aisément chez M. Hahn, d’abord la manière de son maître, et puis ce qu’y ont ajouté la nature personnelle du disciple et l’esprit général de notre temps. « Les sanglots longs des violons de l’automne… » — Ainsi chante, ou plutôt soupire et pleure la première des Chansons grises, et les mots, les syllabes même, balancent leur mélopée triste sur deux ou trois accords hésitans. Telle se berçait jadis, et pareillement sur des accords incertains, la première de ces cantilènes errantes, celle que nous rappelions plus haut. A M. Massenet encore appartient une batterie plus ou moins lente, mais continue, d’accords symétriques et pour ainsi dire conjugués, sur lesquels M. Hahn se plaît à laisser flotter un chant : Offrande, ou D’une prison. Quelques-unes des mélodies les plus connues de M. Massenet : les Enfans, les Coccinelles et d’autres encore, reposent de même sur des séries harmoniques qui font en quelque sorte l’office d’un axe ou d’une charnière.