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moyenne d’existence de presque tous ses devanciers. C’est là un phénomène d’autant plus remarquable, qu’à l’origine, personne ne l’avait prévu, même les plus optimistes parmi les modérés. Quant aux radicaux, ils se croyaient tellement sûrs de rentrer au pouvoir à bref délai, qu’ils le racontaient à tout venant, avec une sincérité qui n’était pas jouée. Leur conviction était entière ; elle se faisait même volontiers agressive. Ils mettaient les modérés au défi de pouvoir faire durer leur ministère au-delà d’un très petit nombre de mois, peut-être de semaines, et M. Bourgeois se tenait prêt à recueillir sa succession. Si leurs prédictions s’étaient réalisées, la situation des modérés aurait été extrêmement faible. Les radicaux et les socialistes seraient revenus avec une puissance considérablement augmentée. L’impossibilité de vivre, dont ils accusaient tout gouvernement qui ne serait pas le leur, aurait paru manifeste. Un incident parlementaire, un vote inconsidéré, une minute de distraction, auraient suffi pour produire ce résultat. Mais les choses ne se sont point passées ainsi, et désormais, quoi qu’il advienne, on ne pourra pas dire qu’un ministère modéré n’est pas viable avec la Chambre actuelle, puisque c’est celui que cette même Chambre aura laissé, ou plutôt qu’elle a fait vivre le plus longtemps. A supposer qu’il disparaisse, le cabinet Méline devra être remplacé par un autre qui lui ressemblera et sera composé d’élémens analogues, car la surprise d’un moment ne peut pas faire oublier dix-huit mois de confiance réfléchie et résolue donnée par une majorité à un gouvernement. C’est la leçon qui ressort de l’expérience accomplie ; elle ressemble bien peu aux horoscopes que les ennemis du ministère et que ses amis eux-mêmes tiraient à propos de lui, lorsqu’il s’est constitué. Tout porte à croire aujourd’hui ce que personne n’aurait pu soupçonner et n’aurait osé annoncer alors, à savoir qu’il présidera aux élections prochaines. Notre vue ne s’étend pas plus loin : qui pourrait prédire ce que seront ces élections ? Mais il est permis de croire, avec M. Méline, qu’elles auront un caractère vraiment politique et que, pour la première fois peut-être, grâce à la rupture définitive de la concentration républicaine, le pays aura à se prononcer entre deux programmes parfaitement définis.

Ces deux programmes, M. Poincaré les a mis en opposition dans un récent discours qu’il a prononcé au Havre. Il y a beaucoup de très bonnes choses dans ce discours, comme dans celui de M. Méline, comme dans celui de M. Barthou ; mais ce qui nous y frappe surtout, c’est l’affirmation de la doctrine libérale en matière sociale, comme en matière politique. Les républicains modérés, aux élections