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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/122

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l’importance qu’on lui donne ; ou plutôt, ce sont les habitudes, c’est la civilisation, c’est l’histoire qui font les « races » ; et dans notre monde moderne, des deux côtés de l’Atlantique, si les économistes peuvent dire que le mouvement universel agit dans le sens de l’ « égalisation des fortunes », ce qui est encore bien plus vrai c’est qu’il tend à l’effacement de toutes les particularités qui ne sont pas individuelles. Un Anglais ou un Américain ne diffère pas physiologiquement ni moralement d’un Français ou d’un Allemand ; il n’en diffère qu’historiquement, pour avoir hérité d’une civilisation différente et, — grâce à la facilité des communications et des échanges, grâce au développement de l’industrie, grâce à l’internationalisme de la science et à la solidarité des intérêts, — toutes ces différences elles-mêmes se ramènent à des différences de temps ou de moment. Les Américains sont plus jeunes que nous, et cela se voit tout d’abord dans leur curiosité de savoir ce que nous pensons d’eux.


Ils me paraissent aussi moins « compliqués », je ne dis pas moins subtils ; et j’entends par là que, ce qu’ils sont, ils le sont en tout plus naïvement, plus franchement, plus hardiment que nous. On est ici ce que l’on est, et comme on l’est par décision ou par choix, on ne s’en cache point. Mrs T..., très intelligente et très froide, est une « jolie femme », qui a voulu l’être ; qui l’est ; et elle remplit consciencieusement son rôle de jolie femme, lequel n’est pas du tout, comme on pourrait croire à Paris, d’attirer les hommages, mais de mettre en valeur l’éclat de sa beauté, pour la joie des yeux de ses compatriotes et l’honneur de sa ville natale. Si donc elle me dit, en excellent français, que « mes conférences vont ramener à Baltimore les beaux jours de la préciosité », ce n’est pas seulement que la Chanson de Roland ou la Légende des siècles l’intéressent fort peu, mais c’est tout simplement que l’ironie polie convient à son genre de beauté. Une autre, qui aime les lettres, qui écrit elle-même, qui fait des vers, qui collabore à de jeunes Revues, qui a fait de ses goûts de littérature et d’art le principal intérêt de sa vie, ne s’en cache pas davantage ; et personne autour d’elle n’a l’idée de s’en étonner. C’est son goût ; elle a le droit de l’avoir.

On ne s’étonne pas davantage que les femmes, comme les hommes, aient leurs « clubs, » où elles se réunissent pour y luncher, pour y causer des choses qui les intéressent, de chiffons,