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une « sorte de communication » qu’il est impossible d’expliquer, et il leur disait avec ravissement : — « Cela est donc vrai ! Nous sommes immortels et nous conservons ici les images du monde que nous avons habité. Quel bonheur de songer que tout ce que nous avons aimé existera toujours autour de nous !… J’étais bien fatigué de la vie ! » L’un de ces « esprits » le conduisit dans une cité lumineuse où il faisait sa demeure avec d’autres esprits. De belles jeunes filles dont l’âme transparaissait à travers leurs formes délicates regardèrent l’étranger avec des yeux sourians, et leur aspect lui remplit l’âme de regrets : « Je me mis à pleurer à chaudes larmes, comme au souvenir d’un paradis perdu. Là, je sentis amèrement que j’étais un passant dans ce monde à la fois étranger et chéri, et je frémis à la pensée que je devais retourner dans la vie. »

Une autre fois, il se promenait dans un jardin abandonné avec une jeune femme d’une taille élancée, comme l’Adrienne de ses jeux d’enfant. Sa compagne se mit tout à coup « à grandir sous un clair rayon de lumière, » et à « s’évanouir dans sa propre grandeur. » Il reconnut Aurélia, autrement dit Jenny Colon, et en même temps, le jardin prit l’aspect d’un cimetière : — « Ce rêve… me jeta dans une grande perplexité. Que signifiait-il ? Je ne le sus que plus tard. Aurélia était morte. — Je n’eus d’abord que la nouvelle de sa maladie. Par suite de l’état de mon esprit, je ne ressentis qu’un vague chagrin mêlé d’espoir. Je croyais moi-même n’avoir que peu de temps à vivre, et j’étais désormais assuré de l’existence d’un monde où les cœurs aimans se retrouvent. D’ailleurs, elle m’appartenait bien plus dans sa mort que dans sa vie. » Il ne s’affligea donc point en se figurant que Mlle Colon était morte ; l’âme qu’il aimait transmigrait une fois de plus ; voilà tout.

Les seuls momens pénibles de ce premier internement, les seuls du moins dont il eût gardé la mémoire, Gérard de Nerval les dut à des visions sanglantes et hideuses par lesquelles lui furent révélés des événemens très anciens, ignorés jusque-là de toutes les histoires. Mais c’étaient des éclairs de souffrance, compensés et au-delà par de longues joies surhumaines. Il passait des heures exquises à pétrir avec de la terre l’effigie de celle qu’il croyait morte : — « Tous les matins, ajoute-t-il, mon travail était à refaire, car les fous, jaloux de mon bonheur, se plaisaient à en détruire l’image. »