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discrets, de son chef le général Boyer, car le premier aide de camp de Bazaine portait, depuis hier, les étoiles. — « États de service ? ricanait Floppe : — Des tas de services ! » — Le mot fit fortune. Floppe était la bête noire de ces messieurs, et Mourgues se fût bien gardé de parler si haut en sa présence ; mais Floppe avait pris, la veille, le service des parlementaires : fonctions délicates, dont le capitaine Arnous-Rivière venait d’être relevé, et qu’à tour de rôle les capitaines de l’état-major général rempliraient dorénavant chaque jour.

Les détonations du fort de Queuleu, vers neuf heures, retentirent au cœur de Du Breuil. Depuis qu’il avait entendu tonner le Saint-Quentin lors de sa première mission de parlementaire, il n’écoutait jamais sans émotion la grosse voix des forts. On y avait travaillé sans relâche, ils étaient aujourd’hui vigoureusement armés. Il eût voulu les voir à l’œuvre, livrés à eux-mêmes, aidant Metz à se défendre seule. Ils le pouvaient.

Le canon redoublait de violence. Du Breuil eut une envie irrésistible de savoir ; il partit. Du fort de Queuleu, où il connaissait des officiers, la place était bonne. Le général Lapasset, n’en déplût à Mourgues, avait conçu un hardi coup de main, l’enlèvement du château de Mercy et de Peltre. Une locomotive blindée, emmenant quelques hommes déterminés, marcherait cependant à toute vitesse sur Courcelles-sur-Nied, y accrocherait les trains de vivres ennemis, et les ramènerait à Metz. Un habile ingénieur de la Compagnie de l’Est, M. Dietz, se chargeait de la manœuvre.

Il faisait une belle journée ; les eaux de la Seille, dans la dévastation du paysage, étincelaient. Du Breuil commençait à gravir la côte de Queuleu qui dominait la plaine, avec son clocher pointu ; il aperçut à peu de distance des soldats qui escortaient des prisonniers allemands. Un lieutenant qu’il interrogea, les yeux vifs sous un hâle de poussière, les mains noircies de poudre, lui dit avec volubilité :

— Victoire, mon commandant ! Le château de Mercy, nettoyé d’une bouchée ! Peltre était moins commode, mais on l’a enlevé tout de même, à la fourchette ! N’est-ce pas, les enfans ?

Il y eut des rires parmi les soldats, tandis que les prisonniers allemands, raides, continuaient d’avancer, la mine arrogante. Un capitaine ajouta :

— Par malheur, la locomotive blindée n’a pu pousser jusqu’à Courcelles-sur-Nied, l’ennemi averti avait coupé la voie. Mais