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me contenterais de la moitié de ses politesses... Il a l’âme bien cramponnée à la chair ; charnel et ridiculement amoureux, il court après toutes les jeunes filles, ayant toujours aimé le beau sexe, et l’aimant de plus en plus jeune à mesure qu’il vieillit. On ne peut s’empêcher de rire en le voyant. Il rappelle une de ces figures des cabinets de cire : une perruque étonnante et la tête sur les genoux. Il s’amuse à changer de perruque et de fraise trois fois par jour. En un mot, Ein alter ennuyanter Kerl... » « Notre vieux Saturne, écrivait-elle encore, est parti hier pour la chasse ; si c’est à la chasse de l’élan ou des jeunes filles, on ne le sait pas au juste, car il est surtout friand de ce dernier gibier. Il y en a qui lui ont plu, mais dont la sagesse a été à toute épreuve. Dès qu’elles ont appris ce qu’on leur voulait, elles se sont enfuies ; mais le vieux Pan ne se laisse pas rebuter. »

Elle se moquait du vieux Pan ; mais les escapades de ce septuagénaire ne lui déplaisaient point. Elle ne lui demandait qu’une chose, elle souhaitait ardemment qu’il se hâtât de déguerpir et de laisser la place à sa bru, et elle comptait pour précipiter sa fin sur « les plaisirs de Cythère. » Il en abusa tant qu’il fut frappé d’apoplexie. « Notre vieux roi est indécis s’il doit vivre ou mourir, il demeure hésitant entre les deux chemins. » Il ne se fit pas trop prier, il mourut, et Louise-Ulrique régna et gouverna par l’entremise de son mari, qu’elle tenait depuis longtemps sous son obéissance, et qu’elle s’amusait à faire passer pour un homme aussi décidé qu’énergique. Elle n’avait pas eu de peine à dominer ce mouton bêlant, et elle eût été bien aise de persuader à ses frères qu’elle avait apprivoisé un lion. La superbe n’exclut pas les petites vanités. Mais en ce temps la royauté avait reçu de telles atteintes, et qu’il fût lion ou mouton, un roi de Suède avait si peu de pouvoir, une si mince autorité, que, dès les premiers jours, Louise-Ulrique fit vœu de réformer une constitution qui mettait son orgueil au supplice et son royaume en danger.

En abusant du pouvoir absolu, Charles XII l’avait rendu insupportable à ses sujets ; il avait trop tiré sur la corde, elle cassa. Tout le profit de cette révolution fut pour une aristocratie brouillonne et corrompue, qui s’attribuait le privilège exclusif d’occuper les hauts emplois ; elle fut bientôt maîtresse de tout, au grand préjudice de l’État et de l’intérêt public. La constitution de 1720 avait créé un régime représentatif, un parlementarisme vicieux, qui n’était que l’anarchie organisée. Il ne suffisait pas à la Diète souveraine de discuter et de voter des lois ; désignant et révoquant à son gré les membres du Conseil, elle exerçait par délégation le pouvoir exécutif. La royauté.