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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/231

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la reine prit tout de suite sa bru en aversion. En vain lui écrivait-on de Copenhague que cette princesse, plutôt bien que mal de visage, très bien prise de corps, avait les manières, le son de la voix, la physionomie de la plus grande douceur, que, timide et d’esprit médiocre, elle ne demandait qu’à se laisser gouverner, que sa belle-mère en ferait ce qu’elle voudrait. En vain le grand Frédéric cherchait-il à l’adoucir en lui remontrant « que si sa bru manquait de charmes, il n’importait guère, qu’elle ne manquerait pas de postérité, que l’œuvre de la chair ne demande aucune métaphysique » ; que les femmes bonnes et timides valent mieux que les intrigantes tracassières, qu’il n’est pas d’animal plus dangereux qu’une méchante femme : « S’il m’était permis d’en citer, quel beau catalogue j’en dresserais ! Mais laissons reposer les cendres de celles qui sont mortes, et prions Dieu pour la conversion des vivantes. » Représentations, remontrances, tout fut inutile. Elle persista à détester cordialement Sophie-Madeleine.

Son fils la mettait à son aise. Sophie-Madeleine lui inspirait à lui-même une telle répulsion que le mariage n’avait pas été consommé. Il semblait que le grand Frédéric se fût trompé, que l’œuvre de la chair demandât quelque métaphysique. Dix ans après la bénédiction nuptiale, Gustave qualifiait cyniquement la reine de « Vierge couronnée. » Ce roi, que M, de Heidenstam définit « un cérébral, un intellectuel aux sens endormis », avait pris son parti de n’avoir point d’enfans, de laisser la couronne à l’un de ses frères, le prince Charles. Il se ravisa subitement, résolut de renouer avec la reine. Son heureux coup d’État l’avait mis en goût, il en voulut faire un autre.

Après dix ans de séparation notoire et d’indifférence affichée, le rapprochement était difficile. Gustave III ne se sentit pas de force à conduire tout seul une entreprise qui lui paraissait plus compliquée que la restauration d’une monarchie. Il s’ouvrit de son embarras à Munck, son premier écuyer, qu’il savait discret et dévoué. Munck sut plaire à l’une des dames de Sophie-Madeleine et par son moyen s’insinua dans la confiance de cette reine délaissée. Il lui représenta éloquemment que son ambition, le souci de son avenir, sa vanité de femme, sa piété, les devoirs de son état, tout lui commandait de se prêter aux désirs du roi. Par son conseil, elle feignit pour cet indifférent une tendre inclination qu’elle n’avait jamais ressentie. Gustave se persuada qu’elle l’avait toujours adoré, et son imagination s’enflamma.

Son écuyer lui rendit un autre service. Après avoir fait le métier d’honnête entremetteur, il travailla à l’instruction des deux époux, les