l’urgence, Ladmirault avait demandé que les négociations fussent entamées dans moins des quarante-huit heures. On avait désigné sur-le-champ le général Boyer pour se rendre à Versailles auprès du roi de Prusse.
Quand Laune sut la décision du conseil, il fut pris d’un grand frisson, son teint verdit sous un flot de bile ; il se raidit pourtant. À quoi bon se répandre davantage en paroles ? La discipline étouffait ses révoltes. L’amère conscience qu’il avait de la situation l’éclairait sur son devoir : servir sans dévier, avec la rectitude d’un outil d’acier.
Mais Charlys s’écriait :
— Quelle responsabilité ils porteront devant l’histoire ! Ils croient sauver l’armée, et s’étayent sur une planche pourrie qui craque sous leurs pieds. Ils se noieront, et nous serons tous noyés avec eux, oui. noyés dans cette boue !
D’un grand geste, il indiquait le bourbier vaseux qui s’étendait sous la fenêtre, les cloaques des camps, Metz dans le flot limoneux de son fleuve, sous le déluge.
— Messieurs, disait Floppe après le dîner, une triste nouvelle ; notre éminent chef le colonel Laune a la jaunisse. Quant au colonel Charlys, il m’a tout l’air d’un conspirateur. Bazaine n’a qu’à se bien tenir !
Le 11, le temps se remit au beau. Du Breuil allait à Metz. Le va-et-vient tromperait son cœur malade, son esprit torturé. Il passerait chez les Bersheim. Pourquoi fuyait-il cette maison hospitalière ? Quelle mauvaise honte le retenait, tour à tour repoussé, attiré ? D’une part, oui, c’était d’Avol, leur malentendu grandissant ; il lui en coûtait de revoir l’ami par lequel il avait souffert, souffrirait encore. Mais, d’autre part, c’était Anine ; elle l’invitait par la grâce parlante de son silence, le charme sérieux de son sourire. Il la revoyait toujours si digne, si fière, telle qu’après les allusions perfides de d’Avol à Mme de Guïonic, elle lui était apparue dans le couloir.
Que pense-t-elle, qu’éprouve-t-elle, — se demandait-il, — cette jeune fille renfermée, maîtresse de ses émotions, d’un tact si sûr, d’une volonté si égale ? Elle lui semblait de plus en plus une de ces âmes pondérées de la Lorraine, une vraie fille de Metz-la-Pucelle. Par momens il la confondait avec la cité dont elle incarnait l’orgueil placide, l’inviolé prestige. Quand il entendait les doléances indignées des Messins tremblant que leur ville