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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/410

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Non, dit Restaud, pas avant midi. Le grand Quartier général cessera son existence à la même heure que l’armée.

Ils se regardèrent fixement. Du Breuil balbutia : « Vous êtes un vaillant, vous ! » et partit.

La pluie l’enveloppa de ses réseaux mobiles. À travers les fils obliques, une buée flottante tourbillonnait. Arbres et maisons s’effacèrent, comme un paysage de rêve, plus étranger, plus désert encore. Le Ban Saint-Martin étala sa plaine fangeuse couverte d’un chaos de voitures. Par centaines s’amoncelaient des fourgons de toute sorte, forges, ambulances, cantines, fourragères et prolonges, entre lesquelles titubaient les derniers chevaux. Ce n’était là qu’une faible partie du matériel abandonné. Du Breuil songea aux autres emplacemens, à tous les carrefours où s’entassait de la sorte l’immense attirail de l’armée.

Il gagna la route. Comme il approchait de la porte de France, il tomba sur de longues agglomérations d’hommes qui cheminaient à travers la brume. De près, il reconnut l’uniforme des grenadiers de la Garde. Ils marchaient presque alignés, sac au dos. Le pas n’était qu’à demi rompu. On sentait, chez ces vétérans, malgré l’absence des commandemens et la détente de la discipline, un tel pli d’habitudes militaires qu’ils gardaient toujours leur cohésion de marche, leur fierté d’allure. Ils s’étaient, par esprit de corps et respect d’eux-mêmes, astiqués depuis le matin. Les buffleteries et les guêtres étaient blanchies de craie, les boutons à l’aigle luisans de tripoli. Toutes les expressions de l’ironie et de la rage contractaient leurs visages. Certains, à bout de désespoir, apparaissaient tendus et rigides. C’était une chose navrante que de voir finir ainsi ces troupes pleines de vie, élite de l’armée, qu’on avait laissées se consumer dans le vide. Du Breuil revit les bataillons de Saint-Privat, immobilisés à deux pas du feu. Quel crime de ne s’être jamais servi de pareils hommes ! Et maintenant, ils s’en allaient, force perdue, vers la dissolution finale. Il se représenta, dans la campagne dévastée, l’exode simultané, le lamentable piétinement des troupes. Elles se formaient à cette minute même pour la dernière fois, et de toutes parts, sous la pluie, dans la boue, les colonnes frémissantes se traînaient le long des routes, comme les tronçons coupés d’un serpent gigantesque.

Les voltigeurs s’avançaient à leur tour, reconnaissables à leurs cols et à leurs brandebourgs jonquille. Ils se dirigeaient à la suite