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Aussi bien est-il oiseux de ne pas nous attarder à ces discussions. Elles seraient à leur place, si nous avions affaire à un traité de pédagogie et non à une œuvre d’art. Tout ce que nous sommes en droit de demander à M. Barrès, c’est qu’il rende ses idées sensibles, qu’il les mette dans un puissant relief, qu’il nous inquiète, qu’il nous émeuve, qu’il nous passionne. Or, telle est la question qu’on se pose au sortir de cette lecture. Comment se fait-il qu’un livre qui prend son sujet en pleine actualité, et qui touche aux intérêts vitaux de la nation, nous remue si peu, ne nous irrite pas plus qu’il ne nous contente et nous laisse non pas disposés à la controverse, mais plutôt indifférens ? C’est qu’il est par trop ennuyeux. Je sais très bien que ce reproche d’être ennuyeux est le plus facile à faire, et qu’en beaucoup de cas, il n’est pas recevable. Trop souvent il ne témoigne que de la frivolité du lecteur. Il y a des chefs-d’œuvre qui ne sont pas du tout « amusans », et on pourrait même poser en principe qu’ils exigent tous de notre part un sérieux effort. Il est exact encore que certains genres comportent l’ennui. Mais, toutes ces concessions faites, il reste qu’il y a une espèce d’ennui qui provient du fait de l’auteur, qui ne s’imposait pas à lui avec un caractère de nécessité, dont il est donc coupable et qu’il a tort d’infliger à son lecteur. C’est celui qui résulte de l’insuffisance des moyens de traduction. Peut-être l’écrivain a-t-il su ce qu’il voulait faire, mais cela ne se dégage pas. Il a réuni des matériaux : il n’a pu ni les coordonner, ni les mettre en œuvre. Ils gisent dans l’attente du souffle qui devait animer l’œuvre et qui n’est pas venu : ils jonchent le sol en masse compacte et amorphe.

L’impression de confusion et d’incohérence atteint ici à un tel degré d’intensité qu’elle cause un véritable malaise. La trame elle-même du livre est faite de tous les documens que M. Barrès a recueillis par l’observation ou par la lecture. Il est clair qu’il a voulu les utiliser tous sans en laisser rien perdre. Voici donc des renseignemens précis, des dates, des fragmens de statistiques, des réflexions générales, des digressions, des anecdotes. Ce sont, sur Gambetta et ses procédés de gouvernement ; sur l’opportunisme, sur le collectivisme, sur Madagascar, sur Panama et sur beaucoup d’autres questions, des développemens, qui en eux-mêmes ne sont pas dépourvus d’intérêt, dont chacun aurait même pu fournie un bon article de journal, mais dont le pêle-mêle et l’entassement nous désobligent. Sur ce fond, assez terne, tranchent quelques épisodes, morceaux de bravoure où le styliste s’est évidemment complu. C’est l’histoire fantastique de Mme Astiné Aravian, une visite de Taine, un