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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/541

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tout gris de la tête aux pieds, de longues mèches blanches pendant de son feutre mou aux larges bords et venant se plaquer sur la nuque, la barbe étalée sur sa poitrine grêle, la face pâle dans laquelle font tache seulement deux gros verres bleus, tel — toute révérence gardée — le fantôme d’un astrologue du temps jadis ; il rôde, grave et sans bruit, il glisse quasi immatériel en ses vêtemens qu’on dirait vides, celui qu’en Hongrie même, et parmi ses amis, on n’appelle plus que « le vieux Tisza », et qui, moins vieux qu’il ne paraît, a l’air de n’avoir plus d’âge, le Burgrave du parti libéral magyar. Le tour de force, accompli par Taaffe en Autriche, de se maintenir quinze ans au pouvoir, il l’a, de son côté, accompli en Hongrie. C’était un maître manœuvrier parlementaire qui, comme Taaffe, savait prendre les hommes. Il n’était point de député ignoré et muet, descendu de quelque bourg perdu dans le Tátra, qu’on ne pût voir un beau soir promené amicalement à son bras, admis à l’honneur de faire sa partie de tarot, et emmené par lui, avec une douzaine d’autres, souper au restaurant de l’île Marguerite. À aucun prix il n’eût manqué, en bon bourgeois à qui ses habitudes sont chères, de venir lire les journaux, causer et jouer à son cercle : pour se délasser de la politique qu’il avait faite toute la journée au ministère et à la Chambre, il en faisait la moitié de la nuit au Casino. Calviniste à fond, et doctrinaire dans l’âme, en dépit de cet abandon apparent, d’une certaine affectation de scepticisme ou d’éclectisme ; très magyar et très allemand, parce que pour lui l’un était le complément, le prolongement, la conséquence et comme la condition de l’autre ; parce que pour lui dans l’Autriche allemande on ne pouvait être très magyar que si l’on était très allemand en Europe ; le nombre est grand des choses qu’il a faites en laissant dire, et en disant parfois, qu’il s’en désintéressait : il a tracé dans la politique hongroise, et même dans la politique austro-hongroise, un sillon profond, où le baron Bánffy marche encore, d’un pas plus pesant et moins assourdi. Maintenant il vit en ses souvenirs, au passé ; il vient moins au Parlement qu’il n’y « revient », exspectans resurrectionem, ainsi qu’il est écrit sur les tombeaux, ombre apaisée et consolée par la certitude de revivre en son fils Étienne.

À l’extrême gauche, un autre fils de grand homme, M. François Kossuth. De même que le libéralisme du baron Bánffy serait difficile à définir en notre langage d’Occident, de même l’extrême gauche de la Chambre hongroise ne ressemble pas à la nôtre. Son