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Le même Parlement, quelques années plus tard, acceptant une autre doctrine, condamnait certaines méthodes thérapeutiques, parmi lesquelles la transfusion du sang ; il rendit même un arrêt contre l’émétique, mais il fallut le casser ; on en trouve la raison dans les spirituelles Lettres de Guy Patin[1] : l’émétique était le remède favori de Louis XIV dans ses fréquentes indigestions.

En 1710, le Parlement de Bordeaux décide que le chirurgien qui a fait une mauvaise cure est tenu à payer des dommages et intérêts à celui qu’il a estropié ; il condamne le chirurgien à ne pouvoir opérer sans qu’il y ait eu au préalable une consultation et l’oblige à se ranger à l’avis de la majorité, même s’il est le plus ancien des praticiens réunis.

En 1760, le Parlement de Bordeaux condamne un chirurgien qui, à la suite d’une fracture mal soignée, avait été obligé de recourir à l’amputation. Il lui inflige 15 000 livres de dommages et intérêts, somme énorme, car il faudrait la multiplier par 2 ou 3 pour établir sa valeur actuelle.

Il est nécessaire de faire remarquer que ces arrêts sont très différens suivant la personnalité en jeu ; à cette époque, les médecins, les chirurgiens et barbiers vivaient en fort mauvais termes ; toutes les condamnations sévères frappent les chirurgiens, alors que les médecins se retirent presque toujours indemnes ou avec une légère admonestation.

Dans la loi de ventôse an XI, qui a régi la profession médicale jusqu’à la loi du 30 novembre 1892, il n’est fait aucune mention de la responsabilité ; l’article 29 vise seulement les officiers de santé, qu’elle rend responsables des conséquences des opérations qu’ils pratiqueraient sans l’assistance d’un docteur. A l’étranger, la législation est d’une sévérité très variable. En Angleterre, le 7 mai 1886, un médecin comparaissait devant le jury pour avoir administré un purgatif à un homme atteint d’une maladie de cœur ; le malade, à la suite de l’ingestion de ce médicament, était mort. Le Lord chief justice, en résumant les débats aux jurés, leur dit : « Tout homme qui pratique une profession savante, tout homme qui entreprend une tâche qui lui est dévolue par la loi ou qu’il assume de lui-même, est tenu d’apporter dans l’accomplissement de ce devoir ou de cette tâche l’habileté normale d’un homme compétent ; sinon, il doit être

  1. Guy Patin, Lettres, édition Réveillé-Parise, Paris, 1846.