Le corps médical peut craindre de trouver devant lui des jugemens rappelant ceux du Parlement sur le quinquina ou la transfusion, limitant son intervention utile auprès de son malade. Peu de temps après la découverte de l’anesthésie, un malade était mort pendant l’administration du chloroforme. Velpeau, défendant le médecin poursuivi, disait avec raison aux magistrats : « Vous tenez dans vos mains l’avenir de la chirurgie. La question intéresse le public plus que le médecin. Si vous condamnez le chirurgien qui a employé le chloroforme, aucun de nous ne consentira à l’employer désormais ; aucun médecin, s’il sait qu’à la suite d’un accident, impossible à prévoir, il encourt une responsabilité, ne voudra plus l’administrer. C’est à vous de maintenir l’abolition de la douleur ou de la réinventer ! »
La tendance actuelle des tribunaux est fâcheuse pour le corps médical et pourrait porter obstacle au développement scientifique et aux interventions les plus opportunes.
Elle est mauvaise pour la magistrature, qui se compromet en intervenant, avec une compétence discutable, dans les querelles réservées aux médecins. Elle juge comme définitives des règles qui sont en évolution perpétuelle. Si je regarde en arrière, je vois que, depuis quarante ans, j’ai assisté à de telles révolutions dans les doctrines médicales que bien des fois j’ai dû refaire sur le même sujet mon éducation scientifique. Comment un magistrat pourrait-il oser fixer dans des considérans les opinions successives, contradictoires, qui se sont produites dans un si court laps de temps ? Un jugement, prononcé, il y a vingt ans, en se fondant sur les règles qui étaient alors admises presque sans réserve, nous semblerait aujourd’hui profondément ridicule. Est-il sûr que nos successeurs n’aient pas la même opinion sur les arrêts rendus en vertu de nos convictions actuelles ?
Il est de l’intérêt de la médecine, je devrais dire : des malades ; il est de l’intérêt de la magistrature que le juge n’intervienne pas dans les querelles réservées à Hippocrate et Galien. Un jugement inspiré par ces appréciations n’échapperait pas à la cassation, dit Dupin ! Je ne sais s’il en serait ainsi en ce moment ; mais, dans quelques années, l’opinion casserait certainement tout arrêt rendu en s’inspirant des doctrines médicales régnantes.
Mais, dit Dupin : « Où est la limite de cette responsabilité ? où trouvons-nous la ligne de démarcation ? Il est impossible de la fixer d’une manière générale. C’est au juge à la saisir et à la