— Désormais je ne prends conseil que de moi-même. Fou serait le soldat qui, voulant trouer, laisserait dépérir son cheval, rouiller ses armes. Qui veut la fin, veut les moyens… N’est-ce pas, mon vieux ? — il flatta l’encolure du pur-sang.
La bête tressaillit, prête à bondir des quatre pieds, l’œil brillant, le poil en sueur. D’Avol regarda de haut son ami :
— Eh bien, ton Juif ? on l’a fusillé !
— Quel Juif ?
— L’espion, Gugl. Tu ne portes donc plus ta bague ?
Du Breuil eut un « Non ! » sec.
— Tu vas chez les Bersheim ? continua d’Avol. Tu y trouveras Anine, elle sera charmée de te voir, n’en doute pas.
Stupéfait, Du Breuil le regarda. Le visage de d’Avol était mauvais :
— Bien du plaisir ! fit-il, et, sans autre adieu, il rassembla son cheval qui piaffait. Puis, au moment de rendre la main, se ravisant :
— Un conseil ! Tu as porté sur moi un blâme l’autre jour, en mon absence, devant Anine.
— Moi ?
— Oui, toi ! Tu as dit qu’il était criminel de vouloir sortir par une conjuration de l’impasse honteuse où nous sommes embourbés.
— Je le pense.
— C’est possible, ne le dis plus.
— Pourquoi ?
— Parce que je m’abstiens, moi, de dire devant Anine comment je juge ton inaction !
— Tu m’as pourtant blessé devant elle.
— Et toi, qui m’attaques par derrière ! Il y eut un dur, affreux silence, ils se pénétraient jusqu’au fond de l’âme. D’Avol reprit :
— Et puis, pendant que j’y suis, mon cher, retiens cela ; j’ai donné quelquefois des leçons de correction, je n’en ai jamais reçu.
— Il est encore temps.
D’Avol devint pâle :
— Tu me provoques !
Du Breuil répondit :
— Je suis las de tes railleries et de tes dédains. Je ne les mérite pas.