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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/652

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le plus puissant[1]. Mais de toute façon, il faut renoncer à l’endiguement, funeste au fleuve et à l’homme.


III

Ce qu’est la Loire naturellement, — ses défauts, — comment l’homme, pour s’en garder, les a empirés, nous l’avons vu. La situation est si mauvaise qu’on serait surpris de voir des bateaux sur la Loire. On s’étonnera donc sans doute qu’il y en ait eu, et beaucoup. L’histoire va nous l’apprendre[2].

Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, la Loire semble navigable. Outre Strabon et César, les inscriptions votives de l’Association des nautoniers de la Loire à l’époque gallo-romaine le disent assez.

Lorsque la société du moyen âge sortit du chaos et s’organisa, que le commerce rétablit entre les divers pays de la France les liens anciens, la Loire fut une des voies les plus suivies. Châteaux, évêchés, monastères, si nombreux sur les bords de ce fleuve, s’approvisionnaient par là en dépit des péages. Certains avaient leur flottille : l’évêque de Nevers, deux bateaux ; l’abbaye de Saint-Benoît, six. Les pays voisins produisaient déjà, grandissaient en population et importaient à proportion. On voyait circuler [3] sur le fleuve les blés de la Beauce, les vins de l’Anjou et de la Touraine, les bois des forêts alors très nombreuses, les bestiaux du Berry, le sel marin, le poisson, les métaux du Nivernais, les ardoises angevines, les pierres tombales du Bourbonnais, et bien d’autres produits d’origine même étrangère, même orientale. Les armées utilisaient cette voie : le 29 avril, le 4 mai 1429, Jeanne d’Arc fit arriver de Blois à Orléans des convois de blé. Après la délivrance de la ville, elle transporta par eau son matériel de siège ; une seule bombarde exigeait vingt-deux chevaux au halage.

La navigation était assez importante pour qu’il existât une Communauté des Marchands fréquentant la rivière de Loire et

  1. M. Gaymard a coupé dans une alpe un mètre carré de gazon épais de 0m,20, et y a fait tomber en pluie de l’eau jusqu’à saturation ; le gazon avait absorbé 50 litres d’eau (ce qui correspond à une pluie de 500 millim.) avant d’en laisser couler.
  2. Les détails historiques qui suivent ont été empruntés, pour la plupart, à la Loire d’autrefois, de M. C. Bloch.
  3. Parmi les bateaux-transports, les chalands étaient mâtés, les sentines ne l’étaient pas. Les cabanes ne servaient qu’aux voyageurs.