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forte. Toute une famille bourgeoise et chacun des membres de cette famille y étaient peints à loisir, avec une ferme et tranquille minutie.

L’œuvre nouvelle de M. Fabre, le Bien d’autrui, paraît moins pleine, moins riche d’observation, mais d’une construction plus serrée et d’une allure plus rapide. C’est qu’elle n’est que la stricte mise en action d’un cas de conscience, de celui précisément qui est formulé et débattu par Diderot dans l’Entretien d’un père avec ses enfans. Un homme, ayant hérité d’un parent que l’on croyait mort intestat, découvre un testament qui le déshérite. Il s’agit d’imaginer les circonstances qui peuvent lui rendre le plus pénible le devoir de la restitution. La conception des personnages et l’invention de tous les détails sont donc entièrement « commandés » par le dessein même de la pièce, qui prend, de là, un caractère un peu didactique.

Denis Roger a hérité 60 0 000 francs d’un vieux cousin. Cela arrange fort ses affaires. Hier petit employé, le voilà gros monsieur. Sa femme a tout de suite loué et meublé une belle maison. Sa fille aînée, qui avait fait des sottises, n’apparaît plus si coupable à son mari, et le ménage va pouvoir se raccommoder. Et la cadette est, du coup, demandée en mariage par un jeune médecin « plein d’avenir ».

Soudain, par les mains ignorantes d’une petite fille, dans un livre d’images, Denis Roger découvre un testament par lequel le cousin lègue toute sa fortune à Mlle Manon, sa maîtresse. Après un très court moment d’hésitation, Denis révèle le fait à sa famille, et déclare qu’il rendra l’argent.

« Rendre l’argent » dans ces conditions est tout simplement héroïque ; et c’est pourquoi tout le monde crie à Denis qu’il est fou. Ce testament est injuste et immoral. Puis, si Denis rend l’argent, le jeune médecin reprendra sa parole, et le mari de la fille aînée poursuivra l’instance en divorce. La probité de Denis Roger condamne l’une de ses filles au célibat et l’autre au déshonneur public. Elle le condamne lui-même à la misère ; car, depuis l’héritage, il a dépensé une quarantaine de mille francs qu’il lui faudra retrouver. Et, par surcroît, elle le condamne à mort ; car il est atteint d’une maladie qui exige le repos, et qui l’emportera s’il se remet au travail.

C’est ce que sa femme, ses deux filles, son gendre et son futur gendre lui remontrent dans une série de scènes rapides, précises, et d’une violence fort bien graduée. Il n’a qu’un mot : « Cet argent ne m’appartient pas. » Tant qu’enfin on le « chambre » ; puis on complote de l’éloigner par une fausse dépêche.

Là-dessus, grande nouvelle : Mlle Manon, qui était phtisique, vient d’être enlevée par une syncope. Ils triomphent tous, jugeant que, cette