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ses explications sont moins claires. Il nous dit, dans son Congrès de Vérone, qu’il hâtait ses préparatifs pour retourner à son ambassade de Londres, qu’il ne lui restait plus qu’à monter en voiture, lorsqu’il reçut le billet de M. de Villèle lui proposant le portefeuille de la part du Roi. Il ajoute qu’il passa la nuit dans une agitation incroyable ; que, le lendemain, il écrivit à M. de Villèle un billet qu’il nous cite, billet qui semble un refus, par égard pour M. de Montmorency « dont il n’a pas eu toujours à se louer, dit-il, mais qui passe pour mon ami. » Au fond ce billet était une acceptation déguisée, puisqu’il se terminait ainsi : « Je dois vous dire aussi avec franchise qu’il y a tel ministre des affaires étrangères, que vous pourriez choisir, sous lequel je ne pourrais servir, et ma démission serait un grand mal en ce moment. » Le Roi l’envoya donc chercher. « Il nous retint une heure, écrit-il, lui ayant la bonté de nous prêcher, nous lui résistant avec respect ; il finit par nous dire : — Acceptez, je vous l’ordonne. — Nous obéîmes, mais avec un véritable regret, car nous sentîmes à l’instant que nous péririons dans le ministère. » — « C’est ainsi, nous dit-il dans un autre chapitre de ses Mémoires, que, le 1er janvier 1823, nous passâmes les ponts pour aller coucher dans ce lit de ministre, lit où l’on ne dort guère et où l’on ne reste pas longtemps. »

Quant à M. de Montmorency, il se montrait très préoccupé de l’impression que sa démission pourrait causer à l’empereur Alexandre, dont il s’était séparé en très bons termes. Il ignorait qu’après son départ de Vérone, qui avait eu lieu le 22 novembre, et pendant les trois semaines qui suivirent, jusqu’à la dissolution du Congrès, Chateaubriand avait eu avec l’Empereur deux entretiens fort importans, dont le dernier surtout lui avait complètement ramené l’opinion du tsar et préparé la faveur marquée dont il jouit depuis lors auprès de lui, pendant toute la durée de son ministère. Dans son audience de congé, l’Empereur lui ayant demandé ce qu’il pensait personnellement de la guerre d’Espagne : « Sire, lui avait-il dit, je pense que la France doit remonter au haut point d’où l’ont fait descendre les traités de Vienne. Quand elle aura repris sa dignité, elle deviendra une alliée plus utile et plus honorable pour Votre Majesté. » L’Empereur garda un instant le silence et, après, lui serra la main en signe d’assentiment. Chateaubriand se retira ; il avait gagné sa cause dans l’esprit d’Alexandre.

Pourquoi ne pas reconnaître, du reste, même dans un récit